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Cette insouciance de la mort est encore augmentée par la vague pensée, répandue parmi les populations hawaïennes, que leur race est destinée à disparaître prochainement. La civilisation, au lieu de leur inspirer des pensées d’espérance, les remplit au contraire de tristesse. La civilisation, comme nous l’avons montré, les amène à rougir d’eux-mêmes et les humilie plus qu’elle ne les relève. Ainsi leurs qualités mêmes, la douceur, la docilité, leur tournent à désavantage et deviennent pour elles des agens de destruction. Maintenant quels sont sur les Havaïens les effets de ce gouvernement à l’européenne vanté avec tant d’enthousiasme par les écrivains anglais ? Sont-ils toujours salutaires et moraux et peuvent-ils contribuer à arrêter ce phénomène de la dépopulation ? Voyons un peu. Ce gouvernement à l’européenne est obligé d’agir par les moyens qui lui sont propres, moyens réguliers, mécaniques. Il fonctionne entre les mains de deux ministres principaux, tous deux de race anglo-saxonne, M. Wylie, ministre des affaires étrangères, et M. Judd, ministre des finances. C’est à ce dernier qu’on doit le système d’impôts aujourd’hui en vigueur aux îles Sandwich. Trois impôts pèsent sur les indigènes : l’impôt de capitation, qui est d’un dollar pour chaque Hawaïen adulte, d’un demi-dollar pour chaque femme adulte, d’un quart de dollar pour chaque garçon ou fille âgé de quinze à vingt ans ; — la taxe des écoles, par laquelle chaque homme en état de travailler est obligé de donner treize semaines de travail manuel s’il est propriétaire, et vingt-six semaines s’il ne l’est pas ; cette taxe peut être rachetée par la somme de 2 dollars en argent ou de 3 dollars en produits naturels ; — enfin la taxe des routes, qui est de douze jours de travail, rachetables au prix d’un dollar et demi. À ces taxes directes vient s’adjoindre un impôt assez lourd sur les animaux ; les chevaux sont taxés à un demi-dollar, les mulets et les ânes à un quart de dollar, les chiens et les chats, animaux de luxe, paraît-il, à un dollar. Toutes ces taxes sont d’un poids très lourd pour les malheureux Hawaïens, qui ont encore très peu l’habitude du travail régulier, et qui, ainsi qu’on peut le croire, n’ont point par devers eux un grand capital. La plus lourde de ces taxes est celle dite de capitation, parce qu’elle doit être payée en argent et ne peut être rachetable par le travail manuel. Quels moyens de satisfaire à l’impôt ? Il y en a plusieurs, tous plus nuisibles et plus destructeurs les uns que les autres. Le plus simple est de s’enfuir et de se cacher. M. Hill, dans ses excursions, rencontra un jour dans une caverne une bande affamée, à demi nue, dormant sur un lit de boue humide, qui s’était résignée à cette vie de misère pour échapper aux percepteurs de l’impôt et à la prison, conséquence inexorable du non-paiement des taxes. Un autre moyen plus hideux et plus honteux encore, c’est la prostitution