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Cette supériorité morale de l’Angleterre est encore frappante par une autre qualité ; elle est naturelle. Les vertus anglaises peuvent être excentriques, elles ne sont pas une violence faite à la nature. Je vais m’expliquer à demi. Sur le continent, spécialement en France, nous sommes souvent plus remarquables par nos défauts que par nos qualités, et, chose terrible à dire, il entre quelquefois moins de vulgarité dans les uns que dans les autres. Nos vices ont quelquefois une certaine grandeur que souvent nos vertus n’ont pas, et en tout cas les hommes les plus originaux de notre société sont ceux où l’amalgame entre les vertus et les vices s’est le mieux accompli. Je ne veux faire ici aucune apologie malséante, mais constater un fait historique intéressant, et qui prête à la réflexion. Ce malheur tient, je crois, à une unique cause, à l’artificialité de notre éducation depuis trois siècles, à l’importance excessive que nous avons donnée aux convenances. Nous avons donné la préférence à l’art, dont il ne faut pas abuser, sur la nature, que rien ne remplace. Nous avons essayé d’acquérir par l’art et au moyen de certaines règles ce qui ne s’apprend pas précisément par cette méthode, c’est-à-dire les vertus, et en fait nous ne sommes arrivés qu’à perfectionner nos vices, qui, eux, s’accommodent très bien de l’artificiel. De là la supériorité qu’ont souvent chez nous des hommes à demi corrompus sur de parfaits honnêtes gens. De là quelque chose de maigre, de glacial, de sec dans nos vertus françaises, qui inspire je ne sais quel ennui, et qui donne l’idée d’une absolue stérilité. Notre éducation, tout extérieure et si en désaccord avec la nature, a produit ces vertus sans tempérament, sans muscles ni chair, qui seraient celles de spectres, si par hasard ils pouvaient en avoir. Vous les rencontrez depuis trois siècles, à toutes les époques de notre histoire, ces blafardes et monotones vertus, filles de l’hypocrisie religieuse et de la fausse décence mondaine, ces vertus qui n’ont jamais su rien faire, impuissantes pour le bien, impuissantes contre le mal, sans héroïsme, sans intrépidité d’esprit, sans énergie ; mais la nature violentée a résisté, et, proscrite, elle a prodigué ses dons à ceux qui en apparence semblaient les moins dignes de les obtenir. Si vous cherchez une image des grandes qualités françaises, abandonnez ces faux simulacres de vertus pédantesques qui n’ont pour ainsi dire rien d’humain, et tournez-vous plutôt du côté de ces hommes qui, en bien, en mal, ont suivi leurs instincts et ne se sont pas écartés de la nature, ne fût-ce que pour trouver la satisfaction de leurs vices. Pour tout dire d’un mot, je préfère M. le régent, avec tout son cortège de vices odieux, à beaucoup de pieux monarques pavés comme l’enfer de bonnes intentions, et le vicieux Mirabeau, comme l’appelaient ses candides contemporains, aux plus vertueux parlementaires. Ils peuvent être monstrueux, mais ils sont