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à son langage, à sa religion. Même la nature, au milieu de laquelle elle cherchait souvent des consolations, était plus âpre que douce, et, quand elle ouvrait ses fenêtres pour chasser la solitude qui l’étouffait, son regard se promenait sur un lugubre spectacle, celui du cimetière plein jusqu’aux bords, regorgeant de tombes, qui s’étendait autour du presbytère. Comprenez-vous à présent le génie de miss Brontë ? Son énergie native a été décuplée par ces circonstances et a subi une tension excessive. Son esprit, allumé par la solitude, s’est créé des cauchemars et des visions effrayantes. Rudesse, pauvreté, abandon, ont été ses compagnons familiers, et elle les peindra dans ses livres. Vous y retrouverez aussi toutes les sensations terribles d’une telle existence : les larmes prêtes à couler et supprimées par l’orgueil, le cœur qui s’ouvre débordant de confidences, et qui se referme par mépris du sort, l’amour prêt à s’avouer, vaincu par un instinct de liberté rigide et moral, le bonheur qui vient s’offrir de lui-même, méprisé et abandonné pour l’infortune indépendante. Ajoutez tout le cortège des terreurs invisibles, des vaines imaginations, enfans maudits de la chair pécheresse et de l’esprit qui a perdu, ne fût-ce qu’un instant, la pensée de Dieu, la peur, le regret, le désespoir. Placez enfin ces personnages, ces sentimens, ces luttes dans les milieux les plus sombres et les plus désolés, dans de vieux châteaux mystérieux, dans de pauvres presbytères, dans des écoles publiques, et vous aurez à la fois une idée des romans de miss Brontë et de la vie qu’elle a menée. Vous n’y trouverez donc rien d’impersonnel ni de supérieur à elle-même, et peut-être cette lecture vous laissera-t-elle au contraire soupçonner une nature supérieure à ses productions.

Laissons maintenant les faits parler d’eux-mêmes : ils sont éloquens, instructifs, sympathiques comme la douleur ; l’auteur est dramatique comme ses livres. C’est à Haworth, village du Yorkshire, que Charlotte Brontë a passé la plus grande partie de sa vie. Le village est situé sur le penchant d’une colline de toutes parts entourée de bruyères ; le presbytère, enclos de tombes, se dresse en face de l’église et domine le village. La nature environnante est triste, sombre, et donne à peine l’idée de la campagne. La terre est à demi stérile et produit de chétives moissons, qui, au lieu de haies vives, sont séparées par des murs de pierre. Des manufactures, des habitations d’ouvriers, de vieilles fermes s’élèvent çà et là, et donnent à ce coin du pays un caractère mixte qui n’est ni l’activité de la vie urbaine, ni la solitude charmante de la vie rustique ; L’air est obscurci par la fumée des habitations éparses et des manufactures. L’horizon est borné par des collines grises qui s’élèvent devant l’œil du spectateur comme de tyranniques barrières. Voilà le paysage, voyons les habitans.