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qui se retournait en la cherchant du regard, lorsque la voix de Max, harmonieuse et suave, retentit non loin d’elle ; il chantait ces jolis vers de Goethe :

 
So hab’ ich wirklich dich verloren,
Bist du, o Schöne, mir entflohn[1]


Prête à quitter le pays, Gretchen se laissa prendre tout aussitôt à la pensée que ces vers lui étaient adressés comme un discret adieu : elle n’osa reporter ses regards vers Max, qui s’éloignait à pas lents, à demi caché par la haie de la prairie : mais les deux vers résonnaient à son oreille, elle se les répétait à elle-même, et la rougeur lui montait au front. Tout ce qui l’entourait lui sembla tout à coup plus riant et plus gracieux que par le passé ; il y avait dans son cœur un épanouissement nouveau, et comme l’éclosion d’un sentiment inattendu. Bientôt pourtant à ce premier mouvement de joie succéda un retour de mélancolique tristesse. — Ces vers charmants, pensa-t-elle, est-ce pour moi qu’il les a chantés ?… Peut-être les disait-il pour se distraire, par habitude, sans prendre garde à moi ? Oh ! non, ce n’est pas à moi que s’applique ce mot, o Schœne ! mais plutôt à quelque belle fille de Munich !… Que j’ai été sotte de prêter l’oreille à cette chanson !…

En raisonnant ainsi, Gretchen cherchait à ramener dans son esprit le calme qu’elle avait perdu. C’était bien difficile ; l’illusion, qui se retirait d’elle, la laissait en proie à une émotion trop visible pour qu’elle ne désirât pas rester seule pendant quelques instants. Au lieu d’aller rejoindre son père, qui se reposait sur le banc de bois, elle fit le tour du petit jardin, affectant de regarder l’un après l’autre les arbres à fruit plantés en ligne et les pots de fleurs rangés au midi devant le mur de la maison. De ce même côté se trouvait un jasmin touffu, soutenu par un espalier, dont la brise du soir répandait au loin le suave parfum. En s’approchant du délicat arbuste, Gretchen s’aperçut que le sable de l’allée avait été foulé. Son premier mouvement fut d’effacer avec le pied cette trace mystérieuse, et son cœur recommença à battre avec force : elle regarda autour d’elle pour s’assurer que personne ne pouvait la voir, pas même son père. Derrière une branche basse du jasmin, qui avait été repliée avec intention, Gretchen découvrit un petit bouquet artistement disposé et formé d’une marguerite qu’entouraient des pensées de toutes les nuances. Ce petit bouquet, Gretchen le saisit vivement ; elle le cacha et l’emporta dans sa chambrette, dont elle ferma la porte à clé. Bientôt elle fut debout devant son miroir, rajustant sa chevelure,

  1. « T’ai-je donc réellement perdue ? — As-tu fui loin de moi, ô ma belle !… »