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pensionnaires ont devant eux les œuvres les plus savantes du ciseau et du pinceau, et pourtant il leur arrive plus d’une fois de peindre comme s’ils ne connaissaient que l’école de Bologne, de modeler comme s’ils n’avaient vu que les œuvres du chevalier Bernin. Je me rappelle l’étonnement et l’embarras d’un lauréat traversant le Tibre sur le pont Saint-Ange. À droite et à gauche, il apercevait une rangée de statues qui trouvent des admirateurs parmi les Romains et parmi quelques étrangers, je suis bien obligé de l’avouer. Ces statues, qui témoignent d’une grande habileté de main, sont d’un goût déplorable, et comptent parmi les pires ouvrages du Bernin. Le jeune lauréat n’osait les blâmer, les voyant sur le pont Saint-Ange ; il n’osait non plus les admirer, ne les trouvant pas de son goût. Il attendait l’avis de ses compagnons de promenade pour se prononcer. Je rappelle cette anecdote, parce qu’elle est caractéristique. Si la sculpture et la peinture avaient à l’école de Paris une chaire d’histoire, les lauréats sauraient à quoi s’en tenir sur le mérite du Bernin, sur le mérite de l’école de Bologne. Ayant de franchir les portes de Rome, ils seraient pleinement édifiés à cet égard. Une fois entrés, ils peuvent se laisser abuser par ce qu’ils entendent, par ce qu’ils lisent sur le marbre. Si leur goût n’est pas formé d’avance, ils peuvent accepter et rapporter chez nous d’étranges opinions. Annibal Carrache et Raphaël ont tous deux une sépulture dans l’ancien temple d’Agrippa, qui s’appelle aujourd’hui Sainte-Marie-de-la-Rotonde. Or on lit en lettres d’or, sur une lame de marbre noir, qu’Annibal Carrache, égal en talent au chef de l’école romaine, ne fut pas aussi heureux que lui. Il paraît, d’après cette inscription, que l’école de Bologne n’a pas, pour les Romains eux-mêmes, moins de valeur que l’école romaine. C’est une grande preuve de modestie, sinon une preuve de sagacité. On rencontre au-delà des Alpes des juges qui se donnent pour amis du progrès, et qui pensent de bonne foi que Raphaël était le plus grand peintre de l’Italie avant la venue d’Annibal Carrache ! Comment s’en étonner ? L’inscription latine de Sainte-Marie-de-la-Rotonde, prise au sérieux, mène tout droit à cette étrange conclusion. Dès qu’on admet l’égalité de Rome et de Cologne, on est bien près de mettre Bologne au-dessus de Rome. L’enseignement historique remettrait tout à sa place.

M. de Laborde propose, pour élever le niveau du goût public, un expédient très singulier, à mon avis, mais qui pourtant n’est pas nouveau. Ce n’est pas la première fois que j’en entends parler. Il s’agirait de confier aux peintres les plus éminens de notre temps la décoration de nos théâtres. Le rideau, le plafond, le devant des loges et des galeries seraient conçus, composés par ceux qui auraient donné des preuves de savoir et de talent en traitant des sujets de