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peuvent devenir une source de richesse. Qu’on ne se méprenne pas pourtant. En pareil cas, le beau et l’utile ne sont pas sur le pied de l’égalité, l’utile domine le beau. En semant les fleurs sur la soie, en sculptant le chêne ou l’ébène, le fabricant n’oublie jamais le prix de revient ni le prix de vente. Il ne cherche pas le beau dans la plus haute expression, mais une certaine mesure de beauté qui ne coûte pas trop cher, et lui promette ce qu’on appelle un bénéfice raisonnable. Il recommande à ceux qui lui fournissent des modèles de ne pas se laisser emporter trop loin par leur imagination. Il ne s’agit pas pour lui de contenter vingt personnes d’un goût sévère, mais de plaire au plus grand nombre et de tenter les acheteurs par le bon marché. Cette pensée se retrouve dans tous les travaux de l’industrie, et suffit à démontrer que la recherche de l’utile ne peut jamais se confondre avec la recherche du beau. L’art ici vient au secours de l’industrie, l’éclaire de ses conseils, mais n’arrive jamais à la détourner de son but. Ses conseils ne sont suivis qu’à la condition de ne pas entraîner de trop grosses dépenses. S’il en était autrement, les œuvres de l’industrie ne trouveraient pas d’acheteurs, ou n’en trouveraient qu’à grand’peine. Or l’utile, par sa nature même, s’adresse au grand nombre. Une étoffe qui ne peut tenter que vingt familles devient difficilement une source de richesse. On parle de métiers démontés pour satisfaire le caprice d’une femme et ne pas l’exposer à voir une robe pareille à la sienne, mais on en parle comme d’une exception.

Pour justifier l’alliance de l’art et de l’industrie, On cité les bijoux trouvés dans les fouilles de Pompéi et d’Herculanum, et conservés à Naples dans le musée des Studj. Je ne veux pas nier la valeur de cet argument. J’admire l’élégance des bracelets, des colliers, des pendans d’oreilles, qui sont à bon droit considérés comme un trésor par tous les hommes de goût. J’ai vu à Rome, chez le chevalier Campana, une collection de même origine, moins nombreuse que celle de Naples, mais aussi importante, car toutes les pièces qui la composent sont choisies avec un rare discernement. La plupart de ces bijoux sont des merveilles d’invention, et surtout des merveilles de simplicité. Cependant ce qui se faisait à Pompéi, à Herculanum, dans le premier siècle de l’ère chrétienne, n’est pas un argument sans réplique. Les traditions de l’art grec, qui dominaient alors, étaient d’une application d’autant plus facile, que le goût public n’était pas dépravé par la forme des vêtemens. Herculanum et Pompéi n’avaient pas, comme l’Europe moderne, des modes extravagantes dont l’unique but semble être de combiner des lignes bizarres et monstrueuses. Pour établir parmi nous l’élégance et la simplicité de l’art grec, pour composer des bijoux pareils à ceux du musée des Studj, ou quelque chose d’équivalent, il ne faudrait pas calomnier