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Mais quoi ! ne manquait-il pas un dernier commentaire sur les élections ? Il ne manque plus rien désormais. M. Granier de Cassagnac vient à son tour de ire le dernier mot du scrutin en interprétant le vote universel. Il montre la confiance absolue des populations, il annonce la décadence prochaine des importances de village qui ont cru devoir s’abstenir, après quoi l’unanimité sera sans doute complète. Il n’est pas bien avéré que cette manière d’envisager les choses de notre pays ait un poids décisif aux yeux du gouvernement, et voici quelles seraient nos raisons au besoin. M. Granier de Cassagnac est un esprit tranchant, un polémiste vigoureux et un philosophe médiocre, qui voit clair dans les événemens — quand ils sont accomplis, et qui réussit merveilleusement à faire après coup la théorie des lois providentielles, en appliquant ces lois aux pouvoirs tombés et aux pouvoirs qui se relèvent. C’est ce qu’il faisait récemment dans un livre d’ailleurs curieux, l’Histoire de la Chute du roi Louis-Philippe, de la République de 1848 et du rétablissement de l’Empire. Pour bien des esprits, il n’est point certain que le genre d’appui prêté par les polémiques de M. Granier de Cassagnac à la dernière monarchie constitutionnelle n’ait été une des causes de la chute de cette monarchie. C’était une petite cause, si l’on veut ; mais enfin, telle quelle, elle a pu se mêler à toutes celles que décrit l’historien. Aujourd’hui cependant M. Granier de Cassagnac n’explique pas moins par les lois providentielles la chute du roi Louis-Philippe et la résurrection de l’empire, qu’il ne semble guère avoir prévue qu’après 1848, de sorte que le publiciste n’est point, ce nous semble, dans la meilleure des situations pour tracer des plans de politique, ou pour tirer des horoscopes. Dans ses prophéties, il n’a vu jusqu’ici que le passé ; ses conseils et ses jugemens se sont trouvés plus d’une fois en défaut, et c’est ce qui fait que le gouvernement, pour être mieux éclairé, pourrait bien aller chercher ailleurs que dans ses interprétations le sens du dernier mouvement électoral, le secret des vœux, des pensées et des aspirations du pays.

Au moment où les élections s’achèvent, résumant ce qui reste de vie politique en France et laissant la faible trace d’une émotion qui va déjà en s’effaçant, voici que nos soldats, engagés dans une nouvelle campagne en Kabylie, escaladent les pics du Jurjura et se montrent là où ils n’avaient pas encore paru. Il y a un mois à peine, ils se rassemblaient au pied des montagnes ; ils campent aujourd’hui, au nombre de vingt mille hommes, sur les plus hauts sommets, emportés par un assaut heureux. C’est une autre œuvre qui s’accomplit en dehors de la politique de tous les jours, une œuvre de patience, de ténacité et de courage, l’œuvre de l’assimilation complète et définitive des dernières populations insoumises de l’Algérie. On sait maintenant, surtout par les savans et pittoresques récits du général Daumas, comme aussi par un livre récent de M. Berbrugger sur les époques militaires de la Grande-Kabylie, quel est ce théâtre d’une guerre incessamment renouvelée, d’une guerre qui se poursuit au milieu de la pacification même du reste de l’Afrique française. La Grande-Kabylie est cette contrée qui s’étend à l’est d’Alger en massifs montueux, presque impénétrables, et dont les pentes, en s’abaissant vers le littoral, vont tremper dans la Méditerranée. D’Alger même, de la place du Gouvernement, on peut voir les versans du Jurjura ; on aperçoit les défilés qui conduisent à ces cimes neigeuses, et plus d’une fois du haut