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paient des contributions, elles envoient des otages, elles se résignent en un mot, ne pouvant faire autrement, et pendant ce temps nos soldats sont déjà au travail : ils construisent un vaste fort, destiné à dominer le pays et à le tenir en respect ; ils ouvrent une route qui doit relier le nouveau poste de Souck-el-Arba aux postes élevés dans les dernières campagnes. L’expédition actuelle étendra sans doute le plus possible le rayon de notre action. Ainsi la conquête marche peu à peu à son terme. Ce qui est soumis depuis longtemps reste en paix sous la domination française. Les parties jusqu’ici inexplorées s’ouvrent chaque jour. Le faisceau des résistances et des hostilités se dissout, et ce qui achèvera de le dissoudre, c’est la politique, c’est le mélange des intérêts, c’est le travail appuyé et protégé par la présence d’une force suffisante. Or ici commence évidemment une autre question. N’est-ce point le cas de se souvenir de ce mot que rappelle justement l’auteur des Époques militaires de la Grande-Kabylie. M. Berbrugger ? Populus romanus ubique vicit habitat. Il ne suffit pas de conquérir, il faut s’établir. De ces contrées occupées par les armes et successivement soumises, il faut faire un empire définitivement acquis à la civilisation.

C’est le problème qui s’agite, sinon absolument depuis le premier jour de la conquête, du moins depuis qu’il n’est plus entré dans les vues de la France de se borner à une occupation limitée et précaire. L’Algérie aujourd’hui, c’est tout ce qui s’étend du Maroc à Tunis, de la Méditerranée au Sahara. Que deviendra ce pays, qui fait désormais partie de la France ? Chaque année, le gouvernement publie une statistique précieuse, instructive, de ce qui sa fait en Afrique, sous le titre de Tableau de la Situation des Établissement français dans l’Algérie. La dernière statistique va jusqu’à la fin de 1855 et même, en certaines parties, jusqu’en 1856. C’est là qu’on peut voir en ses moindres détails cette œuvre laborieuse et difficile de l’assimilation d’un empire. Certes, en dehors même de ce qui est purement militaire, il y a des progrès considérables à noter. Il n’en faudrait d’autre preuve que le développement du commerce, qui n’atteignait pas 8 millions en 1831, et qui s’est élevé en 1855 au chiffre de 155 millions. Ce progrès est dû particulièrement à la nouvelle législation douanière de 1851, qui est venue changer une situation impossible et même inexplicable. L’Algérie se trouvait en effet dans des conditions telles que ses produits avaient à lutter sur son propre marché avec les produits similaires étrangers, apportés librement. Expédiés au dehors, ils étaient considérés comme produits français, et étaient frappés à ce titre de droits de douane ; en France même, ils n’étaient reçus que comme produits étrangers grevés de tarifs onéreux. Si la législation de 1851 n’a pas réalisé tous les bienfaits, elle a du moins amélioré sensiblement cette situation. Et qu’en est-il résulté ? C’est que l’Algérie, qui jusque-là allait chercher des grains au dehors pour vivre, a exporté dans l’une des dernières années plus d’un million d’hectolitres de blé. C’est là un commencement heureux. Sous bien d’autres rapports, des signes également favorables se révèlent : des villes se fondent, la culture s’accroît, les plantations se multiplient. Tout le monde a pu voir, à la dernière exposition universelle, les magnifiques produits qui peuvent sortir de ce sol fécond. Un intérêt particulier s’attache à la colonisation, et surtout à ce qu’on peut appeler la colonisation libre. On n’a pas oublié qu’il y a quelques années le gouvernement faisait une assez