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quelque sorte flottante, à qui conviennent la mobilité des flots et le balancement du navire. Max était de ceux-là : il servait de trait d’union entre les passagers inertes, dépaysés, et l’équipage aguerri en qui se concentraient l’activité et la vie du grand navire.

Cependant la brise du nord gonflait les voiles de la Cérès. Conduite par des mains intelligentes, elle défilait rapidement dans l’étroit canal de la Manche, si bien éclairé par les feux dressés sur des tours et sur des promontoires, que le marin peut en pleine nuit nommer les villes, les havres et les écueils qu’il dépasse dans sa course hardie. Max, pour qui la mer avait des charmes, parce qu’elle répondait aux aspirations de son esprit, plein de sève et avide d’indépendance, s’accoudait sur le bord du navire avec le capitaine et s’initiait aux mystères de l’océan. D’un œil curieux et réjoui, il suivait du regard les voiles errantes à l’horizon, qui semblaient tantôt se fuir, tantôt se rapprocher, et d’autres fois jouer entre elles comme des oiseaux de rivage. Bientôt le cap Lézard abaissa au loin ses blanches falaises, et la Cérès s’avança au milieu de l’Atlantique sans autres guides que l’aiguille de la boussole et les astres du firmament. Le temps était beau, la vague longue et profondément creusée ; le ciel, parsemé de petits nuages, laissait tomber sur la mer une lumière étincelante, coupée çà et là par les ombres des vapeurs qui erraient dans l’atmosphère. Attirée comme le papillon par la clarté du soleil, Gretchen se hasarda enfin à paraître sur le pont. Elle avait pris soin de s’habiller comme un dimanche. Après avoir gravi l’escalier d’un pas incertain, elle montrait au-dessus de la dunette son gracieux visage, un peu pâli par plusieurs jours de souffrance. Max s’avança vers elle avec empressement ; elle reprit aussitôt ses fraîches couleurs, et, s’appuyant sur son bras :

— Où sommes-nous ? demanda-t-elle.

— En pleine mer, répondit Max d’une voix joyeuse, à cent milles des côtes d’Angleterre, que nous avons perdues de vue ce matin, à l’aurore.

La jeune fille regardait l’immensité d’un air inquiet et timide. Il lui semblait qu’elle était emportée par un cheval fougueux ; elle éprouvait un saisissement chaque fois que la proue du navire se dressait sur les vagues en faisant jaillir des flocons d’écume.

— Voyez, dit Max, comme la mer est belle ! Nous glissons sur les abîmes à la manière de l’oiseau qui plane les ailes étendues. Vous n’avez pas peur, n’est-ce pas ?

— Pas trop, répliqua Gretchen ; je m’y habituerai, je l’espère.

— En mer, continua Max, l’esprit et le cœur s’épanouissent en pleine liberté ; on oublie toutes les exigences, toutes les obligations, tous les ennuis de la vie…