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Cependant la situation de cette ville bloquée devenait chaque jour plus lamentable. Les provisions commençaient à manquer. Un grand nombre des habitans avaient péri par la faim. Les rues étaient encombrées de malades et de mourans. Les amis des assiégés essayèrent à plusieurs reprises de leur envoyer des vivres, mais sans succès. Les habitans prirent alors la résolution de se former en un corps d’armée, de mettre leurs femmes et leurs enfans au centre, et de s’ouvrir un chemin, l’épée au poing, à travers les lignes de l’ennemi. Les troupes allemandes qui étaient dans la ville refusèrent seules de se joindre à une entreprise si audacieuse. Instruits de cette intention et craignant les effets du désespoir, les Espagnols envoyèrent un parlementaire qui promit grâce et amnistie à la condition que la ville se rendrait et remettrait cinquante-sept de ses principaux membres entre les mains des maîtres légitimes. Il était convenu aussi que les habitans pourraient racheter du pillage leurs maisons et leurs biens en payant une somme de 240,000 florins. Des conditions aussi dures n’auraient jamais été acceptées, si le mot de clémence n’avait point été prononcé par l’ennemi. Lorsque les Espagnols firent leur entrée dans la place, ils trouvèrent la garnison réduite de quatre mille à dix-huit cents hommes. Trois jours s’écoulèrent ; on comptait sur la parole donnée, et les habitans avaient mis bas les armes. Tout à coup Ripperda, le gouverneur de la ville, et les cinquante-sept notables qui avaient été remis en otage subirent le dernier supplice. Quatre bourreaux furent ensuite requis pour une autre tâche, et deux mille hommes, parmi lesquels des soldats de la garnison, des habitans de la ville, des ministres du culte protestant, furent froidement immolés. La boucherie touchait à sa fin, les assommeurs étaient fatigués ; les victimes qui restaient dans les prisons furent liées deux à deux et jetées dans le lac de Harlem. Le siège avait duré du mois de décembre 1572 jusqu’au mois de juillet 1573. Le triste dénoûment d’une résistance si longue et si vaillante jeta d’abord la consternation dans les Provinces-Unies ; mais une cause n’est point perdue tant que le sentiment du droit n’est point éteint. Quatre ans plus tard, les Hollandais rentrèrent en possession de Harlem. Les souvenirs du siège sont conservés dans l’hôtel-de-ville, élégant édifice : là j’ai vu, non sans émotion, un vieux tableau qui représente l’état de cette malheureuse cité durant les sombres jours où elle donna à la Néerlande l’exemple d’un héroïque dévouement[1].

L’histoire de la Hollande, nous l’avons dit, se raconte elle-même dans les monumens ; elle est là partout visible et en quelque sorte

  1. On m’a également montré des pièces relatives à l’histoire du siège dans les archives de la maison de ville, où j’ai été conduit par M. le professeur van Breda.