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archives, on a écrit des histoires spéciales, des biographies ; vienne maintenant un Hooft moderne, et en fait d’histoire la Néerlande n’aura plus rien à envier aux autres nations de l’Europe.

Cette histoire est attachante à plus d’un point de vue, mais surtout comme indiquant le berceau des institutions représentatives. Après les moyens à l’aide desquels les Provinces-Unies ressaisirent leur indépendance, il n’est rien de plus digne d’attention que la sagesse et l’énergie développées par elles dans le maintien, des libertés reconquises. Les anciens croyaient que la fortune ne résistait point à l’audace ; les modernes Bataves ont montré qu’elle cédait surtout à la persévérance. Ils se servirent de la tranquillité que leur procurait un état de paix entrecoupé d’ailleurs par des guerres glorieuses, pour fonder la puissance du travail et la prospérité du commerce. La navigation néerlandaise prit alors des développemens dont on retrouve les traces aux deux extrémistes du monde. Les vaisseaux, ces maisons voyageuses, saluaient en passant les autres maisons, immobiles, enracinées au sol, demeures fixes de l’homme, partagé, lui aussi, entre les travaux de la terre et ceux de l’industrie. Au fond, il existe une certaine ressemblance entre le caractère de la nation hollandaise et celui que la classe moyenne montra en France dans la révolution de 89 ; l’une et l’autre, mais à des intervalles de temps éloignés, dégagèrent leurs institutions politiques des besoins du commerce et des droits de l’activité humaine. L’économie, la prévoyance, le respect des intérêts matériels dans ce que ces intérêts ont de légitime, toutes les vertus domestiques élevées à l’état de religion sociale, tels sont les élémens à l’aide desquels s’est constitué dans un coin de la terre le gouvernement des Provinces-Unies. . À une époque où toute l’Europe vivait encore sous l’empire des institutions militaires, la république des marchands de fromage, comme on l’appelait dédaigneusement à la cour de Louis XIV, a révélé ce qu’il y avait de grandeur solide et de dignité dans un état libre qui assurait à chacun la propriété de ses œuvres. Le gouvernement représentatif est d’un enfantement difficile : aussi l’éducation des mœurs politiques en Hollande fut-elle lente et laborieuse, et plus d’une fois interrompue par des catastrophes. Le sentiment de la nationalité, une foi vaillante dans le principe auquel la république devait sa naissance et ses prodigieux succès, un amour de l’indépendance qui savait s’imposer des bornes, toutes ces qualités pratiques soutinrent la confédération des Provinces-Unies au milieu des rudes épreuves qu’elle eut à traverser[1].

  1. Le lien entre les institutions politiques et la prospérité commerciale de la Néerlande n’a point échappé à Swedenborg. Comme tous les libres penseurs, comme tous les hommes excentriques du XVIIe et du XVIIIe siècle il avait à plusieurs reprises cherché un asile dans les Pays-Bas. Se trouvant à Rotterdam durant la kermesse, il observait en silence les amusemens du peuple, les saltimbanques, les exhibitions foraines, tout cela lui inspira les réflexions suivantes : « Je recherchai, dit-il, les causes en vertu desquelles une nation aussi grossière que la nation hollandaise a élevé son commerce au-dessus de toutes les autres nations et a fait de ses provinces les marchés de l’Europe. La première cause est que la Hollande est une république, forme de gouvernement plus agréable à Dieu que la monarchie absolue ; la seconde est que la Hollande jouit d’une grande liberté. Ici vous ne trouvez point d’esclaves : tous les Hollandais sont maîtres, tous se regardent comme les égaux des princes et des empereurs ; ils portent ce caractère dans leur maintien… » Puis il ajoute : « Mais ils adorent Mammon, et ce culte de l’or est incompatible avec une longue et réelle prospérité. » C’est en effet le culte des intérêts matériels qui a amené le déclin de la puissance néerlandaise.