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réponse qu’il reçut à ses remontrances fut une imputation étrange : on osait insinuer que l’amiral devenait timide en vieillissant. Vainement aussi ses amis cherchèrent-ils à lui persuader que l’intérêt de sa gloire et de sa patrie voulait qu’il refusât d’aborder la mer avec des forces si inégales. « Mon devoir, répondit-il, est d’obéir aux ordres des états. » Puis, après avoir dit un dernier adieu à sa famille et à ses amis, après avoir exprimé lui-même l’opinion qu’il ne reviendrait pas, il partit. L’amiral s’embarqua à Helvoetsluys ; un bon vent le conduisit, et il rencontra entre les îles de Stromboli et de Salino la flotte française, qui était sous les ordres de Duquesne. Les deux flottes se joignirent dans une première bataille qui fut sans résultat. Ayant opéré sa jonction avec dix vaisseaux espagnols misérablement équipés, de Ruyter chercha un second engagement sur les côtes de la Sicile. Duquesne avait, de son côté, reçu un renfort de quatre frégates. Presque dès le commencement de la bataille, de Ruyter reçut un boulet de canon qui lui enleva une partie du pied gauche et qui lui brisa deux os de la jambe droite. Il continua de donner ses ordres avec une activité que rien ne put ralentir, et il dissimula si bien la gravité de sa blessure, que nul, ami ou ennemi, ne conçut le moindre soupçon du désastre qui venait de frapper la flotte néerlandaise. Les relations que les témoins et les acteurs de cette bataille navale nous ont laissées diffèrent grandement entre elles : les deux partis s’y adjugent l’un et l’autre la victoire. Dans tous les cas, la plus terrible et la mieux constatée des défaites n’aurait point été pour les Hollandais une calamité égale à la perte de leur amiral. Là était tout l’événement de la bataille. De Ruyter succomba en peu de jours aux suites de ses blessures. Il mourut à soixante-neuf ans. Un monument lui fut érigé, aux frais de la nation, dans le chœur de l’Église-Neuve à Amsterdam. Une inscription latine rappelle ses titres à l’éternelle reconnaissance des Hollandais, ses combats dans l’Océan et dans la Méditerranée, ses entreprises le long des côtes de l’Atlantique, où il réprima l’insolence des pirates, ses victoires que n’obscurcit pas un seul revers, sa mort grande comme sa vie. Je ne citerai de cette inscription, trop longue et trop pompeuse pour un grand homme, que les derniers mots : Immensi tremor Oceani.

La vie et les actions glorieuses des marins hollandais occupent une place considérable dans l’histoire de la Néerlande ; mais il faut surtout que l’historien recherche l’origine des institutions qui élevèrent la fortune maritime des Pays-Bas à un tel degré de splendeur. Au premier rang de ces institutions figure la compagnie des Indes-Orientales. Cette société n’existait pas encore, que déjà des vaisseaux marchands de la Hollande se livraient à d’assez longs