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osa présenter son candidat au trône romain d’Occident, et sa prétention fut d’autant plus insolente, qu’il la faisait dériver du sac même de Rome.

Le Vandale Ghiseric ou Gheiseric, que nous nommons communément Genséric, bâtard d’une esclave et d’un roi, petit, laid et boiteux, meurtrier de sa belle-sœur et de ses neveux, qu’il avait fait jeter dans une rivière la corde au cou, pour se débarrasser d’une rivalité possible dans l’avenir, était, parmi les Barbares et suivant les idées politiques du Ve siècle, un homme de génie. Carthage reprit au souffle de cet Annibal germain ses deux vieilles passions, l’amour de la piraterie et la haine de Rome. Appelant au secours de la barbarie vandale tout ce qui restait encore de barbarie indigène sur le sol africain, Genséric s’allia aux Maures, leur livra le pillage des villes, les incorpora sur ses flottes et dans ses armées. Les cités municipales, privées de leurs murailles et de tout moyen de protection, furent désertées par leurs habitans. Sans la vitalité surhumaine que montra l’église catholique au milieu des persécutions de tout genre, cette civilisation originale et féconde de l’Afrique romaine, mélange d’élémens latins et puniques, qui avait jeté un si vif éclat sur le christianisme et sur les lettres, aurait infailliblement péri. La spoliation marchait de pair avec la plus cruelle tyrannie, et les meilleures terres des meilleures provinces passèrent des mains des anciens colons dans celles des Vandales ou des Alains, leurs compagnons de conquête. Tel était Genséric au dedans. Au dehors, la nouvelle Carthage devint, grâce à lui, aussi redoutable que l’ancienne : on ne navigua plus en sûreté dans les mers de l’Italie et de la Grèce ; aucun port ne fut à l’abri de l’insulte. Les îles Baléares, la Corse, la Sardaigne, la Sicile elle-même, soumises par ses flottes, reprirent le pavillon carthaginois comme au temps d’Amilcar. On eût dit que l’histoire du monde remontait le cours des siècles ; mais Genséric donna un spectacle que les siècles précédens n’avaient point vu, celui d’une armée partie de Carthage campant sur le Forum et maîtresse de Rome pendant quatorze jours.

La foi vandale valait d’ailleurs la foi punique, si même elle ne la surpassait point en astuce. Nul roi barbare ou civilisé ne fut plus fourbe que Genséric ; c’est là le caractère de sa supériorité sur ses contemporains et sa gloire dans la tradition germaine. « Il était, dit Jornandès, sobre de paroles et profond de pensées, calculateur incomparable quand il s’agissait de provoquer les nations, toujours prêt à semer des germes de discordes et à susciter des haines. » A la fourberie réduite en système, il joignait une avarice insatiable ; l’or était sa seule passion, gagner son seul désir, entasser sa seule volupté. Tout autre sentiment lui était inconnu ; on vantait sa tempérance,