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d’affaires privées ou publiques sur lesquelles on ne le consultât, pas de magistrat dont le tribunal fût plus fréquenté du pauvre et du riche, pas de loi mieux exécutée qu’une décision d’Épiphane. Voilà ce qui fit que les notables de la Ligurie, voyant la guerre civile près d’éclater, songèrent naturellement à lui comme au conciliateur de tous les différends.

Épiphane les écouta dans un profond silence, et, sans paraître étonne de leurs propositions, il leur dit brièvement : « Ce sont là de graves affaires, bien au-dessus de mon expérience et de mes forces ; néanmoins ce que vous désirez sera fait. Quoi que ma patrie me demande, mon devoir est de ne lui rien refuser. » Prenant aussitôt congé d’eux, il partit pour Milan, vit le patrice et reçut ses explications. Le rusé Barbare protesta sans doute qu’il n’avait jamais voulu que la paix, qu’il la voulait encore, et que ce n’était pas lui qui la rompait le premier ; il prit le ciel à témoin de son horreur pour cette guerre qu’il provoquait depuis deux ans, qu’en réalité il avait rendue inévitable. À la suite de ces protestations et de ces sermens, il engagea le prêtre à en porter l’assurance à Rome, se réservant le droit de proclamer plus tard que le Galate furieux, incapable d’entendre la raison, n’avait voulu écouter ni ses explications sincères, ni les conseils d’un homme par la bouche duquel la grâce céleste semblait parler. Quelles que fussent la perspicacité d’Épiphane et son habitude de lire au fond des cœurs, il accepta les engagemens de Ricimer comme des armes qu’on pourrait invoquer au besoin contre lui ; il jugeait d’ailleurs avec raison qu’en de telles crises la chose importante était de gagner du temps, afin de laisser aux événemens une chance pour de nouvelles combinaisons, et aux passions humaines le loisir de se calmer.

On entrait alors en carême, et, désireux de présider lui-même aux préparations de la fête de Pâques dans son église, l’évêque voulut accomplir son voyage aussi promptement que possible ; mais, quelque hâte qu’il mît, sa renommée le devançait toujours. Partout le peuple accourait pour le saluer ; les paysans se pressaient sur les routes, les gens des villes aux approches des stations ; nul ne doutait du succès de sa démarche. Une paix ainsi demandée paraissait une paix accordée. Aussi, quand la nouvelle de sa mission parvint au palais impérial, Anthémius s’était montré embarrassé et soucieux. « Je reconnais bien là Ricimer et ses ruses, s’était-il écrié ; tout est calcul chez lui jusqu’au choix de ses ambassadeurs. A-t-il blessé quelqu’un par ses offenses, il l’achève par des supplications qu’on ne peut repousser. Cependant qu’on introduise près de moi l’homme de Dieu lorsqu’il se présentera : s’il me demande des choses possibles, je l’exaucerai ; s’il m’en demande d’impossibles, je ferai en sorte qu’il m’excuse. » Puis, comme répondant à des doutes