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que Léon prenait ses précautions contre son ancien protecteur, et une lutte sourde, mais persévérante, semblable à celle qui divisait l’Occident entre Ricimer et Anthémius, s’établit entre l’empereur et le grand patrice d’Orient. On eût cru voir sous des noms différens la même tragédie se jouer en même temps des deux côtés de la Méditerranée.

Patricius fut enfin proclamé césar et fiancé à la jeune Léoncie ; mais on blâma Léon, et en quelques lieux le mécontentement public alla jusqu’à l’émeute. C’était une grande humiliation pour cette famille altière. Elle s’en prit à Léon des répugnances du peuple, et le patrice, levant le masque, se mit à conspirer presque ouvertement. On découvrit qu’il tentait sous main la fidélité des isauriens, l’appui le plus sûr de l’empereur, et qu’il s’était vanté de renverser Léon tout aussi facilement qu’il l’avait élevé : ses fils et leurs créatures dévouées semblaient même préparer en secret quelque coup décisif. Ces bruits arrivèrent de toutes parts à l’empereur, que l’on commençait à plaindre, et on les accompagna d’avertissemens, de conseils, de prophéties, qui toutes avaient pour but de le pousser lui-même à un acte de vigueur. Les exhortations de ce genre, assez mal déguisées sous des formes mystiques, retentissaient jusque dans les églises et dans les cloîtres. « J’ai eu une vision, disait un solitaire alors très renommé, Marcel, abbé des Ascœmètes ; je prenais un peu de repos après la prière de la nuit, quand la vision se dressa devant moi. J’aperçus un lion et un dragon qui se battaient ensemble, et comme le dragon était d’une grandeur prodigieuse, il tourmentait le lion, l’enlaçant de sa queue et cherchant à l’étouffer. Le lion le fouettait de la sienne, en poussant des rugissemens d’angoisse ; mais ses efforts étaient vains, parce qu’ils ne portait aucun coup contre le dragon. Je le vis enfin perdre ses forces avec son sang, s’abattre et rester couché par terre sans mouvement ; puis tout à coup il se relève, il se dégage des plis du monstre, il le terrasse, l’étrangle, et le laisse inanimé le ventre contre terre. » La vision du solitaire était bien transparente, et personne n’eut besoin de lui en demander l’explication, car le nom même de l’empereur signifiait lion, et celui d’Aspar avait une grande analogie avec le mot grec qui désignait un serpent venimeux.

Un dénoûment ne pouvait tarder, de quelque côté qu’il vînt : Aspar se laissa prévenir. Un jour qu’il entra dans le palais, seul et sans les précautions ordinaires, parce qu’il n’apercevait aucun signe menaçant, les eunuques s’approchèrent de lui comme pour lui faire cortège, et, découvrant tout à coup des armes cachées sous leurs longues robes, ils l’assaillirent, le percèrent d’outre en outre et le laissèrent pour mort sur la place. Pendant ce temps-là, Ardabure et Patricius étaient saisis par des soldats dans le lieu où ils se trouvaient ;