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Conformément aux rites sacrés, il fut lavé avec de l’eau tiède ; on peigna ses cheveux, on lui coupa les ongles, on le revêtit ensuite de son linceul ; on lui posa sur les épaules une sorte d’écharpe appelée thalet, dont les extrémités venaient s’entrelacer dans les doigts de manière à faire figurer à chaque main les trois lettres hébraïques, sin, daled, yad, exprimant le nom sacré de l’Éternel, dieu des vivans et des morts.

Cependant des aumônes abondantes étaient, au nom au parnass, distribuées aux pauvres assis çà et là sur les tombeaux, et le rabbin haranguait l’assemblée. Quand on eut fermé le cercueil et qu’on l’eut descendu dans la tombe, le schamess alla quérir le malheureux Marem. C’était à lui que revenait le triste privilège de jeter les premières pelletées de terre sur son enfant. On quitta l’enclos sacré. Les assistans regagnèrent le hameau, non sans avoir arraché le long du cimetière, où elles poussent en toute saison, des poignées d’herbes sauvages qu’ils jetèrent par-dessus leur tête en signe de désespoir.

Là ne s’arrêtent pas chez les israélites de la campagne les cérémonies funèbres ni les regrets donnés aux morts. On reconduisit chez lui le père brisé par la douleur. On fit en commun la prière du soir dans la maison mortuaire ; immédiatement après, on y ouvrit le deuil. Les meubles furent déplacés, les glaces couvertes de crêpes. La mère et ses deux filles ôtèrent leurs souliers, puis s’assirent à terre, la tête voilée. Pour le moment, elles ne pleuraient plus, elles ne se lamentaient plus. Leurs pleurs étaient taris, leur voix presque éteinte. Le chef de la famille alla s’asseoir dans un coin de la chambre, sur un sac, cachant son visage dans ses mains. On ne le laissa pas longtemps savourer ainsi sa douleur ; on vint la raviver encore. Le schamess s’avança lentement vers lui, le secoua légèrement par le bras et le fit lever ; puis, tirant un couteau de sa poche et saisissant le revers du vêtement de Marem, il y pratiqua une coupure et le sépara en deux par une large et bruyante déchirure. Le malheureux père poussa un cri comme si en même temps on lui eût déchiré le cœur, et se laissa retomber sur le plancher. À cette vue, la mère et ses filles, vaincues par cet effort suprême, essaient de se lever, mais retombent anéanties. Scènes émouvantes et terribles ! Ne reconnaît-on pas là le désespoir biblique ? N’y a-t-il pas dans le cri de ces femmes voilées et se roulant à terre quelque chose de cette voix de pleurs et de lamentations qui fut entendue à Rama quand Rachel, ayant perdu ses fils, refusait d’être consolée « parce qu’ils n’étaient plus[1] ? » Ce vieillard aux vêtemens déchirés, assis

  1. Jérémie, c. XXXI, v. 15.