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énergiques, et n’ont jamais abandonné la voie qu’ils avaient choisie. Chose rare en ce temps-ci, ils sont animés d’une conviction sincère, et combattent résolument pour l’honneur de la doctrine qu’ils ont embrassée ; ils n’ont jamais fléchi devant les caprices de la mode, quand autour d’eux tous ou presque tous interrogeaient le goût de la foule avant de mettre la main à l’œuvre. Aussi, lorsqu’ils ont réuni en 1855 les toiles signées de leur nom, personne n’a pu méconnaître l’harmonieuse unité de leurs travaux. Les juges mêmes qui ne partageaient pas leurs prédilections ont été frappés de la fermeté de leur caractère.

M. Ingres veut aujourd’hui ce qu’il voulait dans la seconde année du consulat, quand il obtenait le grand prix de Rome : il s’est affermi par l’étude, par un long séjour en Italie, dans ses premières croyances ; mais quand il achevait en 1827, à l’âge de quarante-sept ans, l’Apothéose d’Homère, il n’avait pas changé de route. Nous pouvons parler dans les mêmes termes de M. Eugène Delacroix. Depuis Dante et Virgile, exposés en 1822, lorsque l’auteur n’avait que vingt-six ans, jusqu’au salon de la Paix, à l’Hôtel-de-Ville, nous retrouvons toujours et partout la même richesse, la même variété de palette, la même splendeur et la même harmonie. Les reproches qu’on peut adresser à M. Delacroix ne portent pas sur l’unité de sa manière, mais sur la pureté linéaire de ses figures. Ces reproches méritent sans doute d’être pris en considération ; cependant, nous devons le dire, lors même qu’il se trompe, lors même qu’il ne respecte pas la vérité des contours, il ne manque jamais d’intéresser. Il y a chez lui une telle abondance d’invention, un sentiment si pathétique, une telle habileté à saisir et à rendre le caractère des passions, qu’on oublie parfois ses méprises pour s’abandonner à l’émotion poétique. M. Delacroix ne contente pas ceux qui aiment, ceux qui cherchent, comme la beauté suprême, l’harmonie linéaire. Ne lui demandons pas ce qu’il n’a jamais cherché ; ne méconnaissons pas la nature de son talent. Malgré tous ses défauts, il comptera parmi les peintres les plus inventifs de notre temps : il peut se contenter d’un pareil lot. Quant à M. Decamps, que les partisans exclusifs de l’école romaine s’obstinent à regarder comme un peintre de genre, il a prouvé plus d’une fois, en traitant des sujets de l’Ancien et du Nouveau Testament, qu’il pouvait aborder les problèmes les plus difficiles de son art. Le Christ parmi les docteurs, Samson et Joseph révèlent chez lui une finesse d’intelligence, une délicatesse de goût et en même temps une énergie de volonté que lui envieraient les plus habiles et les mieux doués. Parler de la dimension de ses œuvres pour les placer au second rang est un entêtement ridicule. La Vision d’Ezéchiel, qui se voit au palais Pitti, étonne par la grandeur de