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grandes joies ; mais il ne dépend pas de moi d’admirer en toute occasion. Je ne peux pas imposer silence à mes souvenirs. Quand on a employé vingt ans de sa vie à comparer les œuvres du présent aux œuvres du passé, quand on a suivi d’un œil attentif le développement des arts du dessin aux époques les plus glorieuses, les plus fécondes, on doit se résigner à compter parmi ceux qui ont le goût difficile. Le plaisir des yeux ne me suffit pas, et le plus grand nombre des spectateurs ne souhaite pas d’autre plaisir. Pourvu qu’ils aient devant eux des couleurs éclatantes, des figures ou même des portions de figures rendues avec adresse, la louange ne leur coûte rien. Ceux qui ont dépensé leur jeunesse dans l’étude des grands modèles auraient beau s’évertuer, ils n’arriveront jamais à se montrer assez complaisans. La franchise est pour eux une nécessité. Les artistes s’en plaignent, et cependant ils en profitent. La discussion ne leur plaît pas, et pourtant, s’ils parvenaient à réaliser leur vœu secret, à supprimer la discussion, ils ne tarderaient pas à la regretter. S’ils n’avaient aujourd’hui devant eux que des spectateurs émerveillés, dans un an, dans six mois peut-être, ils n’auraient plus que des spectateurs indifférens. Ce que je dis n’est pas un paradoxe, et ce qui le prouve surabondamment, c’est que les artistes les plus mécontens ne sont pas ceux que la discussion a blessés. Le silence leur est plus douloureux que le blâme. Ce qu’ils redoutent le plus, c’est qu’on ne parle pas de leurs ouvrages. Eh bien ! puisqu’ils craignent qu’on se taise, qu’ils se résignent à toutes les chances de leur condition. Ils ne veulent pas du silence ; espèrent-ils que tout le monde sera du même avis ? S’ils conçoivent une telle espérance, leur désappointement ne pourrait nous affliger, car ils s’attribueraient un privilège qui n’appartient pas même au génie. Qui donc parmi les plus grands, dans le domaine de l’art, a jamais réuni l’unanimité des suffrages ? Qu’ils interrogent le passé, ils sauront à quoi s’en tenir. Ils disent étourdiment que la discussion les décourage, et ils oublient que l’indifférence serait pour eux pire cent fois que le blâme le plus sévère. Ils parlent à leur insu contre leurs vrais intérêts.

Je veux bien admettre que le goût de la peinture se propage de jour en jour, et pourtant les paroles que je recueille autoriseraient une autre croyance. Quand on prête l’oreille aux propos qui se tiennent devant les tableaux anciens ou nouveaux, on entend des choses singulières. Le public n’est pas encore passionné pour la peinture, il ne lui accorderait pas une attention très vive, si des opinions contradictoires, exprimées dans une langue tantôt ingénieuse, tantôt grave, ne venaient éveiller sa sympathie et provoquer l’activité de son intelligence. Le jour où personne ne parlerait au public des arts