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inspirations que cherchait l’écrivain ? On n’ose vraiment le dire : quand il peignait en face l’un de l’autre un roué et une âme loyale, il hésitait entre ses deux héros ; parfois même ses préférences secrètes éclataient tout à coup, et nous étions rejetés en plein XVIIIe siècle. Si la candeur du personnage poétique était représentée avec amour, cette belle image semblait destinée à mieux mettre en relief tout ce qu’il y avait de hardi et de triomphant dans la débauche aristocratique. C’était là évidemment son idéal, c’était la première inspiration de sa plume ; il aimait la grâce et l’audace de l’impiété mondaine, il enviait ces titans à talons rouges qui bravaient le ciel et la terre en souriant. Ses deux premiers romans, George et Cécile et Valpéri, ne nous laissent aucun doute sur ce point. Qu’est-ce que George et Cécile ? La scène est sous Louis XV ; une jeune fille élevée en province est appelée à Paris par sa tante, riche coquette, grande dame équivoque, chez qui se réunissent les gentilshommes à la mode aussi bien que les chanteurs de l’Opéra, et là elle vit au milieu d’un monde de roués et de libertins. Rien de plus charmant, de plus frais, de plus gracieusement virginal que l’image de Cécile d’Eglény. Un jeune lord écossais, George d’Hamilcourt, voyageant à Paris, a vu la belle provinciale ; pur et fier comme elle, il comprend toute la valeur de ce trésor ; il l’aime, il sait se faire aimer ; George va épouser Cécile. Or le roi de l’aristocratie, le chef des habitués de l’OEil-de-Bœuf, M. le chevalier de Rivolles, a parié qu’avant un an, il ferait de Cécile d’Églény la plus habile des coquettes en renom, et du lord écossais le plus perfide des roués. M. de Rivolles gagne son pari ; ruses, perfidies, guet-apens, tout lui est bon pour satisfaire cette fantaisie infernale. On voit le contraste : George et Cécile, c’est l’amour et la poésie ; M. de Rivolles, c’est le génie du mal revêtu de toutes les séductions mondaines. Pour qui tient le jeune romancier ? A coup sûr George d’Hamilcourt et Cécile d’Églény ont excité les sympathies du peintre qui a si gracieusement tracé leur portrait. Un jour, par fantaisie, par curiosité, la tante de Cécile, Mme de Capries, qui a dans son château un théâtre de société, distribue à ses acteurs les rôles de l’Hamlet de Shakspeare arrangé par un des beaux-esprits de la troupe ; Cécile est Ophélie, George est le prince de Danemark, et leur amour s’épanouit au milieu des enchantemens de l’imagination. Les premières heures de cet amour, la poésie de Shakspeare couvrant de ses ailes ces deux candides figures, la pureté de l’âme rehaussée par le sentiment de l’art, ce groupe charmant et fier au milieu des raffinemens de la perversité mondaine, tout ce tableau révèle chez l’auteur une délicatesse vraiment poétique. George et Cécile ne sont-ils pas les héros de M. de Molènes ? Prenez garde : si ces deux figures sont dessinées avec amour, M. de Rivolles inspire