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braves paroles, comme dit Montaigne, ces mots courageux, comme les appelle Ronsard ; or, s’il en rencontre de semblables dans l’Évangile, vous devinez quelle sera son émotion : telle phrase, jusqu’ici peut-être restée inaperçue, est précisément ce qui le convertira au christianisme, et il y trouvera des argumens dont les théologiens ne s’étaient jamais avisés. Il y a bien des choses dans les versets de saint Luc, et il s’en faut sans doute qu’on en ait extrait tout ce qu’ils renferment ; l’originalité de M. de Molènes est d’y avoir vu, avant toute chose, le manuel du soldat. Il dirait volontiers, en modifiant le texte de Rousseau : « Les belliqueux accens de l’Évangile parlent à mon cœur. »

Est-ce à dire que cette verve et ce sans-façon militaire soient une suffisante excuse des hérésies du capitaine Plenho ? Non assurément ; si M. de Molènes a découvert dans l’Évangile certaines beautés cachées, il y a vu aussi des choses qui n’y sont pas. « Je crois qu’il peut être pardonné aux gens de guerre plus de choses qu’aux gens de plume ou de parole… Si mes idées sur le duel ou l’adultère sont coupables, j’espère que quelques os cassés me les feront pardonner ; nos douleurs sont nos patenôtres. » Ainsi parle le capitaine dans les Soirées du Bordj, et en effet ce René de corps-de-garde, comme l’appelle l’auteur lui-même, a de singulières théories sur l’amour. Ce serait, je le sais, faire acte de pédantisme que de chicaner M. de Molènes sur sa théologie. Il est pourtant certaines théories qu’il est difficile de laisser passer, car le goût n’y est pas moins intéressé que la morale. Le capitaine a parfaitement raison de reprocher aux démocrates l’emploi qu’ils font des livres saints. L’interprétation démocratique de la vie et de la mort de Jésus, cette manière de s’emparer du Christ, d’en faire un révolté, un martyr de la raison, de prêcher l’orgueil au nom du Dieu des humbles, et la conquête des biens de la terre au nom de celui qui a dit : « Mon royaume n’est pas de ce monde, » tout cela révolte à bon droit le capitaine de zouaves ; mais lui-même n’interprète-t-il pas au gré de ses passions l’enseignement du Dieu crucifié ? Le capitaine Plenho a plus que de l’indulgence pour les faiblesses humaines : il a de la sympathie, et l’Évangile lui fournit toute une théorie sur ce point. La scène de la femme adultère, la scène de Madeleine essuyant avec sa chevelure les pieds du divin maître, prennent à ses yeux une signification inattendue. « Il me semble, s’écrie-t-il, que je saisis un symbole. Celui qui a été ici-bas l’image adorable de l’amour céleste a permis qu’il y eût à ses pieds une place pour l’amour né de l’humanité. » Oui, sans doute, une mansuétude inconnue aux habitans de la terre est un des divins caractères du Messie ; l’Évangile a révélé au monde les trésors de la miséricorde céleste, il a fait du repentir la première des vertus, et il ne