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qu’elle produit, tel est donc l’inévitable sujet des peintures du roman ; mais est-ce bien cet amour, objet des analyses du moraliste, qui remplit les nouvelles dont nous parlons ici ? M. de Molènes est-il un observateur ? prend-il plaisir à étudier le jeu des passions humaines et à le reproduire sous une forme vivante ? Il n’a rien publié jusqu’ici qui atteste chez lui ces dispositions de l’esprit. J’ai beau chercher, je ne vois qu’un seul type dans tous les tableaux qu’il a peints, un type vrai sans doute, mais plutôt glorifié qu’étudié, un type proposé comme modèle au lieu d’être examiné avec franchise. Ce personnage unique, vous le connaissez, c’est don Juan, capitaine de zouaves. Il a pris, sous le ciel d’Alger, des allures énergiques et fières ; son teint est bronzé par le soleil, son âme s’est retrempée dans la solitude des bordjs. C’est un don Juan tout nouveau, que personne n’a vu, que Mozart n’a pas rêvé, dont ne s’est avisé ni Byron, ni Hoffmann, ni Alfred de Musset, un don Juan à demi réformé par l’ascétisme militaire, mais qui se révèle tout à coup en des explosions irrésistibles. Il n’y a place dans son cœur que pour un seul amour, un amour immense, mystérieux, profond comme l’Océan, brûlant comme le vent du Sahara ; il l’affirme du moins, et nous voilà loin de la fameuse liste de Leporello. Prenez garde : la liste est plus longue que vous ne le croyez, car ce don Juan a changé de nom plus d’une fois. Il s’appelait hier Séléki, aujourd’hui c’est Sidi-Pontrailles, demain ce sera Robert d’Égleneul. Parlons sérieusement : le jeune et sympathique auteur des Histoires sentimentales et militaires n’est pas guéri, comme nous le pensions, des fantaisies de sa première manière. Il avait tenté autrefois l’impossible alliance de Valmont et de Werther ; il dépense aujourd’hui les dons les plus poétiques de son talent pour associer de vive force lord Byron et Brantôme.

Ces erreurs que je dénonce à l’auteur lui-même (M. de Molènes est un esprit trop loyal pour ne pas apprécier ma franchise, et il a tenu autrefois la plume du critique avec autant d’indépendance que de verve), ces erreurs qui ont embarrassé souvent ses lecteurs les plus sympathiques, il les rachète par des détails charmans, des pensées délicates, l’horreur de toute lâcheté, des accens qui viennent du cœur, et une singulière poésie d’expressions. Brantôme a écrit un curieux livre intitulé Rodomontades espagnoles ; l’historien des dames galantes et des grands capitaines emploie ce terme sans aucune ironie, et s’il met des Espagnols en scène, c’est que cette nation, dit-il, est « brave, bravache et valeureuse, et fort prompte d’esprit et de belles paroles proférées à l’improviste. » M. de Molènes est tout plein de ces rodomontades, de ces belles paroles proférées à l’improviste ; il a de la vénération pour don Quichotte, et