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Ce ne sont pas des objections de principe, ce sont des prévoyances, des inquiétudes. Ce n’est pas au nom d’un droit et comme illégitimes en soi, c’est au nom d’un danger public qu’on repousse les prétentions de la charité privée à la liberté. La centralisation administrative n’est pas un principe de droit naturel, ni une nécessité essentielle à tout gouvernement ; c’est un mode de gestion des affaires de la société, bon ou mauvais selon les circonstances et la mesure. Les adversaires du projet de loi dont il s’agit regardent ce mode comme indispensable à la Belgique ; ils disent aux Belges : « Si vous n’établissez pas le droit exclusif du pouvoir laïque à administrer les fondations charitables, vous tomberez sous la domination du pouvoir ecclésiastique avec tous ses abus. »

Étrange situation des partis, et qui touche à bien d’autres questions que celle des fondations charitables ! Ce ne sont plus des droits ni des idées, ce sont des craintes qui se combattent. Les libéraux craignent la religion, les croyans craignent la liberté. Ni les uns ni les autres n’ont dans leur cause et dans leur force assez de confiance pour accepter la liberté de leurs adversaires ; personne aujourd’hui ne se croit en état et n’a envie de résister. Personne ne se juge en sûreté qu’à la condition de dominer, et de dominer seul : déplorable affaiblissement, dans tous les partis, de la foi, des caractères et des mœurs !

Les alarmes des libéraux belges dans cette circonstance sont-elles fondées ?

Oui, si l’on s’arrête à la surface des choses et aux mouvemens très naturels de méfiance et d’humeur que doivent donner les prétentions et les fautes d’une partie des catholiques ; non, si l’on pénètre plus avant, et si l’on considère en pleine liberté d’esprit l’importance réelle des griefs, l’efficacité des moyens de résistance ou de redressement, les forces relatives des partis et les chances probables de leur avenir.


VI

Tour les êtres individuels ou collectifs qui ont déjà longtemps vécu, rien n’est plus difficile qu’une transformation, surtout quand elle doit commencer par une large mesure de renoncement à soi-même. L’église le sait mieux et le proclame plus haut que personne, puisque, pour la transformation morale de l’âme humaine, elle affirme que la grâce divine est nécessaire. Or pour l’église catholique elle-même, en Belgique comme en France, et probablement aussi ailleurs, c’est maintenant d’une véritable transformation qu’il s’agit, non pas d’une transformation intérieure et religieuse, que l’église catholique n’admet point, mais de la transformation de son existence