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ses mains. » Judicieux et vertueux avertissement qui s’adresse aux amis de la liberté en tous pays et en tous temps : qu’ils ne prétendent pas à des garanties infaillibles ; qu’ils ne méconnaissent pas la valeur de celles dont ils sont en possession, qu’ils s’en servent avec persévérance ; qu’ils se résignent à toujours veiller pour être en sûreté et à combattre pour vaincre ; qu’en veillant et en combattant toujours, ils ne s’exagèrent pas l’importance des questions spéciales qui s’élèvent entre eux et leurs adversaires ; qu’ils ne cherchent pas à les résoudre soudainement, absolument, par des mesures également exagérées ; qu’ils aient confiance dans l’efficacité générale des institutions libres, dans les efforts de leur propre liberté, dans leur respect pour la liberté de tous : à ces belles conditions, la charité privée pourra aussi être libre, dans ses fondations permanentes comme dans ses libéralités quotidiennes, sans que ni les couvens, ni les biens de main-morte, ni les captations d’héritages, ni les prétentions qu’on appelle cléricales soient à redouter pour l’avenir de la Belgique et pour la direction de son gouvernement.


VIII

Mais je parle comme s’il s’agissait ici d’un débat purement parlementaire, comme si la question des fondations charitables était restée dans l’enceinte des chambres belges, comme si ces chambres avaient été, selon leur droit, libres de la traiter et de la résoudre selon leur conviction. J’oublie l’émeute, ses insultes, ses menaces, ses attaques contre les défenseurs connus et les patrons ou les amis présumés du projet de loi. J’oublie la lutte transportée des chambres dans les rues, et le roi Léopold réduit à la nécessité, d’abord d’ajourner, puis de clore une délibération législative qui n’était plus une délibération, puisque la liberté n’y était plus. Quelle a été la vraie nature de ce fait déplorable ? Est-ce un accident, un accès passager de fièvre pernicieuse, comme il en arrive dans les pays libres ? Est-ce le symptôme d’un mal profond et permanent qui menace, en Belgique, plus encore l’avenir que le présent ?

On me dit, des hommes bien instruits m’affirment qu’il faut répondre oui à cette dernière question. À les en croire, l’esprit d’anarchie, prenant surtout en ce moment la forme de l’esprit d’impiété, travaille ardemment, et avec succès, la Belgique. Une multitude de journaux obscurs, grossiers, qui ont chacun peu d’abonnés, mais assez pour vivre, propagent dans la population les idées dissolvantes et les passions déréglées ; ils ne poussent pas directement à une révolution politique prochaine, ils fomentent une révolution morale qui prépare et amènera toutes les autres. Des sociétés secrètes, même