Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empreintes de cet esprit nouveau, et vinrent constater, par la faveur générale qu’elles rencontrèrent, l’importante révolution sociale, jusqu’alors inaperçue, qui s’était opérée sans résistance. La France avait en effet passé de la monarchie des états et du gouvernement tempéré, si fort admiré par Machiavel, à un despotisme dont l’auteur principal ne descendit pas dans la tombe sans en avoir audacieusement abusé. Commissions extraordinaires, confiscations odieuses, consécration de la vénalité des offices, trafic insolent de toutes les charges, doublement arbitraire des tailles et des gabelles, création des rentes sur l’hôtel-de-ville, établissement de la loterie, tels furent les principaux actes administratifs de ce règne, auquel il faut remonter pour rencontrer le point précis où commence le gouvernement sans principes et sans garanties, qui a gardé la dénomination d’ancien régime.

Les successeurs de François Ier apportèrent chacun une pierre au vaste édifice qui couvrit bientôt la France. Les divers pouvoirs allaient s’affaiblissant de plus en plus dans leur indépendance à mesure qu’ils se régularisaient dans leur exercice, et si la nation était mieux gouvernée, c’était en abdiquant la possibilité de se gouverner jamais elle-même. Rien ne constate mieux cette tutelle royale et cet état de minorité, contre lequel la France ne devait plus protester, que les célèbres ordonnances d’Orléans et de Moulins, qu’on ne peut séparer du grand nom de L’Hôpital. Par les doctrines qu’elles proclament, ces ordonnances établissent la pleine victoire du pouvoir absolu ; par leurs habiles dispositions, elles deviennent pour celui-ci une force et une sanction au sein des guerres civiles et des découragemens qui les suivent.

Durant la longue anarchie entretenue par les luttes religieuses, le despotisme dut sans doute reculer, à certains jours, tantôt devant l’aristocratie huguenote, tantôt devant la bourgeoisie ligueuse ; mais la royauté fut après chaque crise de plus en plus puissante et de moins en moins attaquée, grâce à une persévérance dans ses desseins qui lui donnait tout l’avantage sur une noblesse sans tradition politique et sur une démocratie toujours mobile et déréglée dans ses passions. Par malheur, chez les grands, déjà dressés depuis trois générations à la vie de cour, la confiance était à la hauteur de l’incapacité, et la nation tout entière était déjà aux pieds du monarque, qu’ils se croyaient en mesure de le faire capituler. Ils n’entretinrent jamais plus complètement cette illusion qu’à la veille de monter sur les échafauds de Richelieu, ou de passer sous les fourches dorées de Mazarin. Ne s’apercevant pas que la vie municipale avait fini avec la ligue, et que l’aristocratie française ne représentait malheureusement depuis le XVIe siècle que ses propres cupidités, les frondeurs,