Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire découvrir la couche des ossemens sur une certaine étendue, afin d’en reconnaître la disposition. Lorsque ce travail fut achevé, quelle ne fut pas ma déception de voir le banc des fossiles s’amincir, puis disparaître ! Cependant mes études m’avaient donné la conviction que les accumulations d’ossemens devaient se retrouver en plusieurs points sur la direction du courant qui les avait déposés : j’entrepris donc de nombreuses recherches aux environs, et bientôt je découvris un nouveau gisement. Les ouvriers n’étaient pas occupés depuis deux jours à le sonder, qu’un enfant m’apporta des ossemens recueillis très près de là, au niveau des eaux du torrent. Ce fut une bonne fortune, et pour le pauvre enfant qui vit dans ses mains plus de pièces blanches qu’il n’en avait sans doute jamais contemplé, et pour moi, qui obtins ainsi de vrais trésors géologiques. On apercevait d’énormes ossemens au fond même du ruisseau. Les ouvriers détournèrent le cours des eaux pour travailler en lieu sec. Tout alla bien, tant que le ciel conserva sa sérénité. Malheureusement un orage vint détruire notre œuvre ; le ruisseau, changé en un torrent furieux, roulait des blocs de rochers, déracinait les arbres et les entraînait au loin ; l’aspect du ravin fut complètement modifié, et les eaux remplirent dès-lors l’espace où nous trouvions le plus grand nombre d’ossemens.

Malgré ces accidens, les fouilles exécutées à Pikermi donnèrent de très bons résultats, et je dois rendre justice au concours que j’ai trouvé dans les ouvriers placés sous ma direction. Pendant toute la durée des travaux, ces braves gens firent preuve d’une rare intelligence et d’un grand courage ; ils savaient ménager leurs coups de pioche de manière à préserver les fossiles qu’ils découvraient, et aussitôt qu’une pièce d’un aspect insolite apparaissait dans la roche, leur attention redoublait, leur prudence devenait extrême. Ils parvenaient même à raccorder assez bien les fragmens des ossemens qu’ils avaient brisés. Enfin les plus habiles d’entre eux pouvaient dire les noms de nos espèces les plus communes. Au surplus, l’intelligence que j’ai rencontrée dans mes ouvriers se retrouve chez la plupart des Grecs : la perspicacité et la finesse sont un des traits particuliers du peuple hellénique. Dans les hameaux les plus pauvres, les plus retirés, on trouve des habitans qui, sous des habits grossiers, ont des manières aisées et quelque instruction : ils connaissent les antiquités et les particularités remarquables de leurs environs. Combien ai-je passé d’agréables soirées dans des cabanes plus misérables que nos dernières masures de France, apprenant de mes hôtes des détails curieux sur leur vie, leurs mœurs, les productions et les petites industries de leur pays ! Je comparais la vivacité de ces hommes avec l’indolence des populations parmi lesquelles j’avais vécu dans les contrées musulmanes. Je ne crois pas qu’aucun