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finances, juges et conseillers de toutes les robes, tout cela pullulait sous l’antique monarchie, sur laquelle nous avons du moins acquis cet avantage de solliciter aujourd’hui ce qui s’achetait alors à des prix quelquefois extravagans. Je trouve dans Forbonnais un relevé des seuls offices de justice et de finance pour l’année 1664, qui en porte le chiffre à 45,780, et la valeur vénale à 419,842,000 fr.[1]. Calculée au cours actuel de notre monnaie, cette valeur atteindrait un milliard. L’ardeur des places était une maladie tellement endémique dans l’ancienne société française, que Louis XIV retira aux villes leurs droits d’élection dans l’unique pensée de les leur revendre en détail : étrange spéculation que le règne suivant renouvela par deux fois, sans que la déloyauté d’un tel marché lassât jamais l’empressement des acheteurs !

Cependant cette machine si compliquée était en 1661 rouillée dans ses ressorts et hors d’état de rendre d’utiles services. Victorieuse de l’Europe et des factions, la France avait à sa tête un gouvernement faible et obéré. La paix des Pyrénées n’avait pas été moins nécessaire que glorieuse, car les armées étaient épuisées comme les finances, et l’industrie nationale au berceau ne pouvait fournir la plupart des matières premières indispensables pour faire la guerre. Pendant que les débris de notre marine étaient menacés sur nos côtes par les Barbaresques, les navires hollandais, qui seuls se montraient dans toutes les mers, venaient apporter dans nos ports des marchandises pour lesquelles la France avait rarement à offrir un fret de retour. L’improbité était aussi générale dans l’administration que le péculat dans les armées, désordre qu’entretenait systématiquement le surintendant lui-même, d’abord pour devenir indispensable au jeune roi, puis pour établir sa fortune sur les bases qui avaient servi à élever celle de Mazarin. Ne vivant que d’anticipations, l’état était à la merci des traitans ; ceux-ci, de leur côté, sans nulle défense contre le pouvoir, passaient leur vie dans les dernières extrémités du luxe et de la terreur, logés dans des palais en attendant qu’une chambre de justice les envoyât pourrir dans un cachot. À cette époque, la main du pouvoir s’étendait donc partout, mais partout aussi cette main était impure ou paralysée.

Entre tous les actes de Louis XIV, l’arrestation de Fouquet, méditée dans un secret profond, exécutée avec des précautions minutieuses, fut certainement celui dans lequel le prince associa le plus étroitement l’énergie avec la prudence. On peut blâmer l’ardeur de ses poursuites personnelles dans le"procès, on peut s’étonner à plus juste titre de la mesure par laquelle une détention perpétuelle

  1. Recherches sur les Finances depuis l’année 1595 jusqu’en 1721,1738, t. Ier, p. 329.