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vaincre chez eux les Barbares, ont péri ; celui de Gallien, qui les laissa entrer en Italie, subsiste encore !

Cet arc n’est pas mauvais pour l’époque. Il fut dédié à Gallien et à sa femme Salonine par un certain Aurélius Victor, qui était probablement un courtisan zélé de leurs majestés, auxquelles il se dit très dévoué. Ce ne peut être l’historien de ce nom, car celui-ci parle de Gallien avec le dernier mépris, et d’ailleurs a vécu plus tard. C’est heureux pour Aurélius Victor, car l’inscription qu’on lit sur l’arc de Gallien donnerait une impression peu favorable de sa véracité. Jamais l’adulation n’eut moins de pudeur. L’inscription contient ces mots : « À Gallien, prince très clément, dont le courage invincible n’est surpassé que par sa piété. » Voici maintenant le commentaire de l’inscription par les faits.

Il arrivait à Gallien de faire tuer trois ou quatre mille soldats en un jour, et il écrivait des lettres comme celle-ci, adressée à un de ses généraux : « Tu n’auras pas fait assez pour moi, si tu ne mets à mort que des hommes armés, car le sort de la guerre aurait pu les faire périr. Il faut tuer quiconque a eu une intention mauvaise, quiconque a mal parlé de moi. Déchire, tue, extermine ; lacera, occide, concide. » Entré dans Byzance en promettant leur pardon aux troupes qui avaient combattu contre lui, il les fit égorger, et ses soldats ravagèrent la ville au point qu’il n’y resta pas un habitant. Voilà pour la clémence. Tandis que Valérien, son père, était prisonnier du roi des Perses Sapor, qui pour monter à cheval se servait du dos du vieil empereur comme d’un marchepied, en attendant qu’il le fit empailler, l’indigne fils de Valérien vivait au sein des plus honteuses voluptés, et ne tentait pas un seul effort pour le délivrer. Voilà pour la vaillance et la piété.

Cet arc de triomphe fut très probablement élevé à Gallien après son lâche et parjure exploit contre Byzance, quand il revint à Rome à la suite de ce meurtre pour y triompher. On remarqua dans ce triomphe plusieurs détails ridicules, des chars remplis d’histrions, douze cents gladiateurs habillés en femmes. Le triomphe romain tournait à la mascarade, au carnaval. Dans celui-ci, un farceur allait par la foule, disant qu’il cherchait le père de l’empereur. Gallien le fit brûler vif. L’arc élevé à Gallien en cette circonstance, au moment où il revenait d’une boucherie, est une bouffonnerie de plus. Un arc de triomphe érigé à l’empereur sous lequel commença le démembrement de l’empire, c’est la plus grande dérision monumentale de Rome[1].

  1. Cet arc est sur le mont Esquilin, où Gallien avait ordonné qu’on lui dressât une statue colossale tenant une lance dans laquelle un enfant put entrer : puérilité gigantesque. Dans le voisinage de l’arc et de la statue de Gallien devaient se trouver les jardins Liciniens, c’est-à-dire les jardins dont parle son historien et qui portaient son nom, il s’appelait Licinius. L’on voit en effet sur l’Esquilin, à peu de distance de l’arc de Gallien, des conserves d’eau et un bâtiment voûté qu’on appelle sottement temple de Minerva medica, qui ne fut jamais un temple, mais offre très probablement un reste de la villa de Gallien.