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de la Moscovie, l’autorité empiétait sur les libertés anciennes, obligées de sortir de leurs forteresses croulantes. Que devenait alors en France cet esprit si souvent manifesté autrefois dans les états-généraux ? était-il étouffé ? Bien au contraire, il eut alors un élan nouveau. Animé du génie renaissant de l’antiquité, il chercha à se rendre compte de lui-même, et à peine sut-il manier une langue plus riche et plus formée à l’expression des idées ; qu’il s’en servit pour se mieux comprendre, recourant d’ailleurs au latin pour y suppléer au besoin, et appelant l’ancienne Rome au secours de ses aspirations modernes. C’est ce que nous verrons par trois personnages des plus notables de cette époque. Le premier, Philippe de Commynes, narrateur admiré, mais dont le caractère politique et moral n’a pas été, que nous sachions, assez approfondi, nous offrira des tendances très opposées, d’où résulte l’image la plus fidèle du débat qui s’agitait dans les faits et dans les opinions. Praticien politique, transfuge de Bourgogne, conseiller secret de Louis XI, il est subjugué par l’habileté de son maître, par la grandeur des résultats, et la moralité de ses maximes se ressent étrangement de cette dangereuse admiration ; mais lorsque rendu à lui-même, et s’élevant à des idées plus générales, il médite sur les excès du pouvoir et sur les droits de la nation, on le voit revenir aux inspirations les plus nobles. Il serait difficile de trouver ailleurs sur la liberté et sur les limites de la puissance des considérations plus hautes et plus vraies, de sorte que, dans la contradiction même de ses idées, on distingue clairement ce qu’il a puisé dans la pratique ténébreuse du cabinet et ce qui lui vient des états-généraux de 1484, auxquels il avait assisté, c’est-à-dire de l’esprit public de son temps. Le second sera Thomas Basin, évêque de Lisieux, dont les œuvres sont pour la première fois publiées par la Société de l’histoire de France. Celui-ci est l’expression d’une opposition violente des provinces dépouillées de leurs vieilles prérogatives ; le droit des peuples à la résistance est plaidé dans ses écrits avec une hardiesse qui ne craint point de toucher aux plus redoutables problèmes. Le troisième document sera pris dans l’assemblée même des états de 1484 ; le discours célèbre, et diversement apprécié, de Philippe Pot seigneur de la Roche, mérite, et pour les principes, et comme exemple d’éloquence parlementaire au XVe siècle, d’être analysé avec soin. Ces trois hommes contemporains, tous engagés par quelque côté dans les mêmes événemens, ayant tous agi ou exercé leur influence dans les plus hautes positions, sont les témoignages les plus sûrs et les plus sérieux sur la pensée des hommes de leur temps ; il n’y a dans ce qu’ils ont dit ni préparation, ni recherche, ni théorie, ni but littéraire : ils ne parlaient pas même pour la postérité, mais pour leurs amis ou pour les affaires du moment,