Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/620

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où il en enfreint un autre ; il se sauve par des trêves, des surprises de villes, des achats de consciences, ce que Commynes appelle bonnement des « marchés » et des « marchandises. » Dans toutes ces combinaisons se meuvent et se débattent des ambitieux cupides, des négociateurs grands et petits, seigneurs et valets, qui vont et viennent, portant des ordres, des contre-ordres et des parjures, des peuples qui se révoltent, des amis ou des vassaux qui trahissent leurs alliés ou leurs suzerains, et se donnent à l’un ou à l’autre, selon qu’ils ont leurs terres dans les domaines de l’un ou de l’autre. Puis, au bout de tant d’efforts tendus et de sourdes pratiques, le fougueux duc de Bourgogne, l’astucieux connétable, l’inconsidéré et mobile duc de Berri, le prudent Breton, le crédule roi d’Angleterre, disparaissent l’un après l’autre de ce théâtre de tromperies, les uns morts, les autres gagnés, et le roi reste seul sur le sol monarchique déblayé, élargi, pacifié, pour mourir bientôt à son tour, parmi les terreurs de sa conscience, sans avoir joui ni de ses crimes ni de ses talens, et sans pouvoir exécuter de plus grands projets qu’il vient de rendre exécutables.

Il y avait là certes une riche matière, et pour les princes d’abondantes instructions. Il eût fallu, pour la perfection, qu’à la profondeur des observations, au coup d’œil perçant dont il scrute les pensées et déroule les replis des âmes fausses, et qui l’ont fait comparer à Tacite, Commynes joignît cette vigueur morale qui distingue l’historien latin. Malheureusement il n’en est pas tout à fait ainsi. Une justice sévère nous oblige à relever ce qu’il y a de mauvais en lui sous ce rapport ; nous en serons d’autant plus à l’aise pour faire valoir ensuite ses meilleures pensées. Autant donc l’historien païen, trop soupçonneux peut-être et quelquefois injuste, poursuit, frappe et flétrit le mal partout où il croit le rencontrer, autant l’historien chrétien, dévot même, qui dédie son livre à un archevêque et parle à tout propos de la Providence, couvre volontiers la fraude et l’iniquité d’une indulgence complice, et parfois même les sanctifie. Les maximes les plus fausses et les plus dangereuses se glissent dans son récit. À la première lecture, on s’en aperçoit à peine, et on se laisse prendre à un préjugé contraire, si grand est le charme de l’exquise simplicité et de l’aisance parfaite de « l’homme de bon lieu, élevé aux grandes affaires, » qui juge de haut les hommes ce qu’ils valent et les choses comme elles vont, avec un air de bonhomie qui se familiarise sans descendre, et qui par là est encore une supériorité. Mais si on le repasse attentivement, si on arrête au passage les jugemens fondus dans la narration, si on abstrait de l’ensemble l’idée la plus générale qui inspire ces jugemens, voici ce qu’on y trouvera. Un drame se développe, qu’on pourrait comparer à ces mystères