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les dames, les cérémonies du faisan, les pas d’armes de Dijon et de Saint-Omer, et les coups de lance des jeunes preux, tels que Jacques de Lalaing, s’en allant par monts et par vaux défier tous les vaillans de l’Europe. Pour eux, les romans chevaleresques étaient encore l’idéal de l’éducation politique ; ils le proposaient sérieusement à leurs nobles élèves. Commynes, élevé dans un tel monde, n’en a pas gardé la moindre trace, pas même ce qu’il aurait pu sagement en garder. Il a senti que ce monde était mort ; il a tourné brusquement le dos au passé, en tant que ce passé se composait d’institutions désunies et de pures traditions. Il ne fait pas plus de cas des chartes et des privilèges de communes ; lui si attentif, et qui savait bien quels coups terribles les villes flamandes avaient frappés sur la féodalité, il ne jette pas un coup d’œil sur les institutions qui leur avaient servi de remparts. Ces bourgeois insurgés, il les appelle « grosses gens et bestes, » et qui n’ont, ajoute-t-il ailleurs, « aucune connoissance des grandes choses, ni de celles qui appartiennent à gouverner un estat. » Encore bien moins consulte-t-il les légistes, « qui ont toujours quelque loy au bec ; » mais il regrette de ne pas savoir assez l’antiquité, et conseille de chercher toute la sagesse politique dans l’histoire, non pas dans l’histoire des coutumes et des ordonnances, dont il ne se soucie, mais dans l’histoire qui montre, agissant les uns sur les autres, les individus et les peuples, et qui révèle les lois qu’il faut faire par celles que la Providence manifeste elle-même dans l’enchaînement des causes et des effets. Telle est la philosophie de Commynes, et on va voir de quelle manière élevée et originale il construit sur cette base historique et religieuse le droit des nations et la nécessité même des libertés politiques.

Après avoir raconté la mort de Charles le Téméraire et la terrible révolte des Gantois contre sa fille Marie, Commynes se demande ce que signifient, dans les vues de la Providence, ces insurrections de peuples contre lesquelles viennent continuellement se briser les puissances excessives de ce monde. Il observe d’abord que, dans la société comme dans la nature, Dieu « a fait à chaque chose son contraire, » pour conserver l’ordre par la résistance et pour contenir par la crainte les débordemens de la force. Ainsi les villes de Flandre furent l’écueil de la maison de Bourgogne. « Et n’est pas cette maison de Bourgogne la seule à qui Dieu ait donné quelque aiguillon ; » la France fut longtemps tourmentée par les Anglais, ceux-ci par l’Ecosse, l’Espagne par le Portugal et les Maures. Les princes d’Italie, cruels et violens, ont eu « pour opposites » les républiques de Toscane, de Venise et de Gênes ; celles-ci sont divisées entre elles, et dans leur propre sein les factions se modèrent les unes les autres, « et chacun a l’œil que son compagnon ne s’accroisse. » Les Suisses