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de M. Droz témoignent de la justesse et de la perspicacité d’un esprit calme et réfléchi. Les faits qu’il nous est permis de connaître aujourd’hui confirment pleinement les prévisions de la science, et les hypothèses inquiétantes imaginées par les adversaires du régime actuel de la propriété territoriale doivent s’effacer devant les enseignemens décisifs de la réalité. La France n’a pas fait fausse route en adoptant les principes libéraux qui dominent notre législation civile.

Ceux qui ont combattu ces principes ont cru voir dans la division des héritages et dans la libre disposition du sol une cause permanente d’appauvrissement de la production et d’accroissement désordonné de la population. À les entendre, nous marchions à grands pas vers le triste spectacle d’innombrables légions de misérables occupés à se disputer une insuffisante nourriture. Rien de plus dangereux que de céder à cette tendance dialectique, qui fait envisager comme fatalement nécessaires les conséquences mathématiques d’une règle admise : parce qu’il est possible de diviser le sol à l’infini, il n’en résulte point que le territoire doive s’émietter pour ainsi dire et tomber en poussière. La question est plus complexe et la solution beaucoup moins simple qu’on ne semble le supposer ; le même principe amène des résultats entièrement différens, suivant le développement de l’intelligence, l’accumulation du capital, la densité de la population, la puissance productive du travail, l’importance du marché de consommation, la facilité des voies de communication, l’état de la culture, la nature du sol, les progrès de l’industrie, la coexistence d’occupations accessoires, etc. Les proportions dans lesquelles le sol peut utilement se répartir entre les habitans sont essentiellement variables : aucune limite absolue ne saurait être admise à cet égard sans créer plus d’inconvéniens qu’elle n’amènerait d’avantages. Une limite quelconque possède un caractère essentiellement local, et se déplace sans cesse. Au lieu de recourir à l’intervention du législateur, il est plus sûr et plus opportun d’éclairer le cultivateur sur son intérêt véritable, et de faire appel aux lumières de la raison plutôt qu’aux injonctions de la loi.

On commettrait une étrange erreur, si l’on pensait que la division du sol et la petite culture sont chose nouvelle en France. Longtemps avant la révolution, le paysan est devenu propriétaire. Il était, il est vrai, assujetti, sous des formes multiples, à des charges féodales que 1789 lui a permis de secouer ; mais, si la révolution a beaucoup fait pour affranchir la petite propriété et pour l’étendre, elle ne l’a pas créée. Cette vérité a été dernièrement mise en lumière par M. de Tocqueville dans son remarquable ouvrage sur l’ancien Régime et la Révolution, et les résultats qu’il a constatés se