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nouvelles et d’améliorations foncières ; il y a donc un retranchement à opérer sur la progression nouvelle et spontanée de 3,6. Ce qui reste suffit néanmoins pour expliquer comment le revenu de la terre, fort réduit en apparence, étant grossi de l’augmentation de la valeur du capital, vient s’équilibrer avec le revenu que procurent d’autres modes de placement.

Les chiffres que nous avons reproduits en bloc ne donnent point une idée complète de l’influence exercée par la division du sol sur la richesse territoriale. Il faut en décomposer les élémens ; alors on obtient un résultat décisif, et on reconnaît que cet accroissement de la valeur territoriale et du revenu s’applique surtout à la petite propriété, cette cause prétendue d’appauvrissement et de misère. Tandis que la valeur de la grande propriété ne s’est guère accrue que de moitié, celle de la propriété divisée, morcelée, a triplé et quadruplé.

Nous n’avons pas besoin de dire que si nous envisageons en ce moment le côté purement matériel de la question, la division de la propriété est à nos yeux autre chose qu’un simple problème de production. Tout en tenant grand compte de la richesse publique, il est permis de faire passer en première ligne d’autres intérêts : la dignité de l’homme, l’esprit de prévoyance, les élémens de liberté et d’ordre, qui sont liés à la possession de la terre. Rien ne contribue plus à élever ces forces morales que le mariage entre l’homme et la terre ; la division de la propriété n’est pas seulement un instrument de production, elle est aussi un levier de civilisation et de progrès. En France plus que partout ailleurs, la nécessité de ce levier est irrécusable. La terre a besoin du concours du capital pour être fécondée : or de tout temps le capital proprement dit, la réserve du passé consacrée à la production, n’a concouru chez nous que faiblement à l’exploitation du sol. Celui-ci a dû les principales améliorations dont il a profité au labeur incessant, opiniâtre du petit cultivateur, qui l’arrose de ses sueurs, et dont le travail personnel, aidé du concours de la famille, a versé dans le sol une accumulation de ressources directement consacrées au ménage des champs. L’homme est la source première du capital ; les merveilles obtenues à l’aide de la petite propriété viennent surtout de ce qu’elle a été, suivant la belle expression de Sismondi, « une vraie caisse d’épargne toujours prête à recevoir tous les petits profits et à utiliser tous les momens de loisir du propriétaire. » Aussi des entreprises qui seraient impossibles, et qui deviendraient ruineuses s’il fallait y consacrer de nombreux salaires, se trouvent accomplies à force de courage, de patience, d’ardeur soutenue et de labeur acharné de l’homme, qui, pareil au géant de la fable, a vu doubler ses forces au contact du sol, devenu sa propriété.