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des avantages matériels que leur obstination faisait perdre^ elles ne suscitaient dans la nation aucun besoin de véritable indépendance, aucune habitude sérieuse de liberté.

La connaissance d’un état de choses qui fomentait à la fois l’esprit de désordre et de routine, et ne nuisait pas moins aux intérêts propres des provinces qu’à la puissance de la monarchie, confirmait chaque jour davantage Louis XIV dans le sentiment intime de son droit et dans celui de ses devoirs. L’un de ses premiers actes avait été de confier en 1664, à des maîtres des requêtes de son conseil, une mission de haute importance. Chacune des provinces du royaume fut visitée par l’un de ces magistrats, qui dut dresser une statistique minutieuse de ses besoins et de ses ressources. Configuration géographique et même géologique, état des routes, des travaux publics et des mines, agriculture, industrie, commerce, tels furent les principaux points sur lesquels il était prescrit aux maîtres des requêtes délégués de faire porter leurs investigations. M. Chéruel a publié, d’après les manuscrits Conrart, le texte même de l’instruction royale donnée aux commissaires, et notre administration, si passionnée pour les questionnaires, si amoureuse des chiffres, n’a pas certainement de cadre plus complet et plus méthodique à présenter. À la partie patente de cette enquête, la confiance du cabinet en avait joint une autre. Les maîtres des requêtes étaient chargés de prendre les informations les plus précises sur l’esprit, la fortune et les charges des hommes les plus influens de la noblesse et du clergé, et particulièrement sur les dispositions politiques des divers parlemens du royaume. La conduite des gentilshommes durant les troubles de la minorité devait être rappelée. Les ministres voulaient surtout savoir d’une manière certaine quel fonds le roi pouvait faire en toute occasion sur la fidélité de ses cours, « étant aussi fort important de dire si les magistrats sont bien résolus à se servir de l’autorité qui leur est commise pour protéger les faibles contre les puissans, et si dans toutes les occasions de violence, comme meurtres, assassinats, mauvais traitemens commis par les gentilshommes ou principaux des provinces, ils ont soutenu fortement la même autorité et fait justice contre les coupables. »

Ainsi se dessinait plus nettement chaque jour cette autorité absolue, mais tutélaire, qui tenait l’œil ouvert sur tous les besoins comme sur toutes les faiblesses de ses agens. Les renseignemens envoyés sur le personnel judiciaire ont été recueillis dans la Correspondance administrative, et l’ensemble de ces rapports fournirait des tableaux de mœurs des plus piquans. Il n’était pas un conseiller de cour supérieure, pas un maire, un échevin, un capitoul de quelque importance, dont on ne connût à Versailles le caractère, les dispositions