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sans nombre. « Il faut, dit-il, qu’à la foi vive, à l’indulgence chrétienne » ils joignent la vigueur de l’esprit et du corps, et qu’au besoin ils puissent se faire charpentiers, jardiniers, serruriers, maçons. » Le missionnaire déjà nommé, M. Moffat, avait dû abattre lui-même les arbres dont était faite sa cabane ; c’est lui qui avait tressé les nattes de jonc destinées à servir de toit. Il cultivait son enclos, il savait manier la pioche et la bêche, et quand un orage détruisait d’aventure sa chétive habitation, il n’avait à compter que sur la force de ses bras pour la reconstruire. Quant aux pauvres sauvages qu’il s’efforçait de catéchiser, quels tristes élèves. Ils venaient volontiers au prêche à la condition qu’il y eût à la fin du sermon distribution de verroteries ou de tabac. Quelques-uns cependant jugeaient préférable de mettre à profit le temps où le missionnaire était occupé hors de sa demeure pour aller lui dérober ses ustensiles de ménage. Quelquefois le prêtre, en voyant un de ses auditeurs plus attentif, croyait avoir conquis enfin une intelligence ; mais quelque question d’une naïveté sauvage venait le désespérer tout à coup. Un jour, un Hottentot lui disait après l’avoir bien écouté : « Vos usages doivent être bons, mais je ne vois pas en quoi ils peuvent remplir l’estomac. Il est vrai que je suis vieux, et sans doute mes enfans comprendront mieux que moi. »

Il n’est pas étonnant qu’avec la vigueur morale et physique que développe en eux le genre de vie qu’ils pratiquent, avec le peu de satisfaction qu’ils trouvent dans leur tâche apostolique, beaucoup d’entre les missionnaires se soient adonnés à la passion des voyages. Au-delà du cercle étroit où s’accomplissent leurs pénibles devoirs, dans l’horizon mystérieux et immense qui se déroule à leurs yeux, que trouveront-ils ? Les naturels interrogés parlent de fleuves, de lacs, de mers, que jamais n’a mentionnés carte européenne ; bientôt une irrésistible curiosité entraîne vers l’inconnu ces hommes ardens et laborieux ; on comprend qu’ils servent la science à défaut de l’Évangile, et c’est en effet ce qui arrive. Les découvertes les plus remarquables qu’on ait récemment faites dans l’Afrique australe sont dues à un missionnaire, M. Livingston, qui a frayé la route à d’autres courageux touristes, MM. Galton, Andersson, Oswell.


I

M. Livingston est gendre de M. Moffat, que nous venons de montrer luttant avec une si infatigable persévérance contre les difficultés de son apostolat. Son beau-père, après avoir accompli une excursion au-delà de l’Orange, s’est fixé dans le pays des Bechuanas, et M. Livingston lui-même a institué une station religieuse plus au nord, sous le 25e parallèle sud, aux confins du désert de Kalahari, en un lieu appelé Kolobeng. Vers 1848, ayant résolu de vérifier les assertions des naturels sur les fleuves et les lacs de l’intérieur du continent africain, il s’aventura dans le désert à la tête d’une petite caravane ; mais, l’eau lui manqua, et il fut obligé de revenir sur ses pas. Sur ces entrefaites, MM. Oswell et Mungo-Murray, deux de ces touristes que produit seule l’Angleterre, vinrent exprès de Londres pour s’associer à l’entreprise de M. Livingston. Le 1er juin 1849, les voyageurs partirent de Kolobeng avec