Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modifiés sans cesse par des terres d’alluvion. Allen avait dressé à l’époque de l’expédition d’Oldfield, une carte du Rio-Nun qui en plusieurs points a cessé d’être exacte. Par exemple, dans un lieu nommé Indiama, où Allen signalait un bas-fond, M. Beecroft remarquait, il y a quinze ans, un banc qui dominait de quelques pieds le niveau du fleuve, et M. Baikie, à son tour, trouvait le banc changé en une grande île couverte d’herbe. Tels sont les accidens produits par l’action puissante des eaux sur les terres qu’elles baignent ou qu’elles charrient. La nature africaine offre dans le delta du Niger un aspect triste et sombre malgré l’extrême richesse de la végétation. Une forêt inextricable déplore sa bordure monotone le long de chaque rives les racines baignent dans l’eau, les cimes s’élancent à une hauteur gigantesque. On navigue péniblement entre ces rives boisées, au milieu d’une atmosphère où l’air mal renouvelé est vicié souvent par les détritus végétaux que le fleuve arrache constamment aux forêts séculaires. Parfois cependant une éclaircie laisse entrevoir quelques groupes de huttes au milieu de terrains récemment défrichés : des villages se sont fondés de loin en loin dans le delta, les nègres portent des vêtemens de manufacture européenne, et en général le pays semble avoir tiré un peu de profit, pour son bien-être, des relations qu’il entretient avec la côte. Malheureusement à l’intérieur les sortes d’états que ces pays composent sont, comme au temps de Lander, livrés à des déchiremens sans fin, à des guerres, à des invasions, à des révolutions et à des intrigues dont, le récit nous reporte en plein moyen âge.

OQru, Igbo, Igara, tels sont les noms des trois royaumes noirs que l’expédition de M. Baikie rencontra successivement sur sa route, au début de sa laborieuse campagne. Tous ces royaumes se ressemblent ; celui d’Igara donnera une idée des autres. Le souverain, entouré d’une aristocratie de chefs puissans ; les Abokos, ne gouverne guère que de nom. Le pouvoir appartient aux Abokos. La ville d’Idda, résidence du souverain d’Igara, était autrefois, assure-t-on, une cité considérable, mais elle est aujourd’hui sur le déclin de sa prospérité. Rien ne naît et ne meurt plus vite que ces villes africaines : parfois l’histoire de leur naissance semble rappeler les temps héroïques et présenter comme une vague analogie avec l’origine des villes de la Grèce primitive. Une des villes voisines du Niger, Agbédamma, fut fondée par une émigration des gens de ldda à la suite de querelles intestines ; Izugbé, dans l’Igbo, fut fondé par un homme d’Abo, qui, il y a vingt ans, ayant tué une de ses femmes, dut s’exiler de cette ville. Ne se croirait-on pas transporté au temps d’Inachus ? Mais Agbédamma et Izugbé ne sont pas Argos ou Thèbes ; une invasion passagère, un débordement du fleuve, un incendie, suffisent pour faire disparaître ces villes de terre et de chaume ; les habitans relèvent plus loin leurs toits sauvages, et le voyageur s’étonne de ne plus rien trouver là où ses prédécesseurs avaient signalé un marché florissant.

Le royaume d’Igara appelait primitivement Akpoto. Son nom actuel lui vient d’un conquérant, Yoruban, et n’a été imposé qu’à une partie du pays. Sous sa dénomination première d’Akpoto, il s’étend encore à une distance considérable du côté du Binue[1] Inférieur. Ses chefs sont musulmans, et sa

  1. Nous donnerons désormais ce nom au Tchadda. Binue signifié eau noire.