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cemment M. Ernest Naville dans un livre sur Maine de Biran, sa Vie et ses Pensées. Maine de Biran n’est plus un homme de notre temps ; il a vécu, on le sait, dans la première partie de ce siècle. Il n’a laissé comme écrivain que quelques mémoires sur l’habitude, sur la décomposition de la pensée, quelques articles sur Leibnitz, sur la philosophie de Laromiguière, œuvres qui ne sont guère lues que des philosophes. Sa vie d’ailleurs a été peu remplie d’événemens : il fut administrateur sous l’empire, député et conseiller d’état au commencement de la restauration, puis il s’est éteint ; mais de ce métaphysicien qui se cachait sous l’habit d’un sous-préfet au milieu des agitations guerrières de l’empire, et qui ne parvint jamais à être un orateur à la tribune parlementaire, on ne connaissait pour ainsi dire que la physionomie extérieure. C’est dans ce journal récemment publié qu’il se peint vraiment, et qu’il montre ce que c’est que cette nature d’un penseur dans ce qu’elle a de plus actif et de plus curieux. Ce journal, qui va principalement de 1814 à 1824, époque de la mort du philosophe, est tout un drame où l’auteur met à nu ses luttes intérieures en tenant note jour par jour de ses pensées et de ses impressions moins en esprit spéculatif et abstrait qu’en moraliste sagace qui analyse les phénomènes les plus intimes de la conscience. Ce qu’il fut dans la vie publique, Maine de Biran l’est encore dans le domaine intellectuel, et sous ce rapport il y a une étrange harmonie entre ces deux parties de son existence : son horizon s’étend peu, il es vrai ; ce n’est pas un esprit dominateur et amoureux d’influence, il savoure la pensée pour elle-même. C’est plutôt une intelligence fine, recueillie, impressionnable et pénétrante, allant jusqu’au fond des problèmes de la vie morale qu’il rencontre à chaque pas. Il aimait l’isolement, où le temps, comme il le dit, tombe goutte à goutte et n’interrompt par aucun bruit la méditation solitaire. L’intérêt des idées suppléait pour lui à l’intérêt des événemens. Maine de Biran était sincère ; aussi ne croyez pas qu’en parcourant en tout sens le domaine des idées pures, il s’arrête tout à coup quand il se trouve en présence de l’image de Dieu qui lui apparaît et des solutions religieuses qui viennent le solliciter. Parti du XVIIIe siècle et de Condillac, il arrive, par une gradation qu’on peut suivre, jusqu’au christianisme, jusqu’à Fénelon, et c’est là que la mort le surprit, laissant à la dernière heure ce trait du chrétien empreint sur la figure du métaphysicien subtil et indépendant. Maine de Biran s’absorbe dans l’étude des phénomènes invisibles, disait-on ; c’est encore un idéologue. Il se peut, et c’est justement parce que son journal est une sorte d’expression saisissante de toutes les luttes, de tous les efforts de la pensée aux prises avec elle-même, qu’il prend comme un relief nouveau au milieu des entraînemens matériels de notre temps, au milieu de ce trouble dont l’influence se fait sentir dans les intelligences d’abord, pour passer ensuite dans la politique.

La session législative vient de finir en Portugal ; elle durait depuis le 2 janvier de cette année. Dans cet espace de six mois, les chambres ont beaucoup discuté, en laissant en suspens bien des questions d’un intérêt supérieur ; le pays n’a cessé de souffrir d’une disette qui jetait, il n’y a pas longtemps encore, des masses affamées sur les chemins ; une crise ministérielle prolongée a, pendant près de trois mois, suspendu l’action des pouvoirs publics, et de cette crise est sorti un ministère, sinon tout à fait nouveau,