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et fut admis comme enfant de chœur dans les principales églises de la ville, où il allait chanter les jours de grandes cérémonies. Il parvint ainsi, non-seulement à vivre plus commodément sans avoir recours à ses parens, mais encore à s’amasser, une somme suffisante pour s’acheter un habit de drap bleu avec des boutons reluisans d’or, qui fut la première joie de son cœur.

C’est dans ces circonstances que Bordogni connut Simon Mayery, compositeur de mérite et l’un des prédécesseurs de Rossini, qui était maître de chapelle de la basilique Sainte-Marie-Majeure-de Bergame. Il en reçut des conseils dont le futur ténor du Théâtres-Italien de Paris s’est toujours plu à reconnaître l’efficacité. Bordogni grandissait, et le nombre des années s’accumulait sur sa tête gracieuse sans qu’il y prît garde, content de sa petite fortune et de son habit bleu, et attendant que l’adolescence se fût écoulée pour savoir s’il serait un merle blanc ou un merle ordinaire, c’est-à-dire, s’il aurait une voix de ténor pour chanter les amoureux, ou bien une voix de basse pour s’emparer des rôles de tyran, de père noble ou de buffo caricato. De temps en temps il allait à Gazzaniga voir ses parens, qui s’émerveillaient de le voir si beau sans qu’il leur en eût coûté grand’chose. Enfin, la nature ayant fait son évolution, Bordogni se trouva posséder une voix de ténor dont il chercha immédiatement l’emploi. Il débuta, en 1808, sur le théâtre de Novare, dans un opéra du compositeur Generali. Il avait alors dix-neuf ans, et, bien qu’il fût encore tout novice, sa jolie voix, sa jeunesse et les avantages de sa personne lui valurent un bon accueil. Le succès qu’avait obtenu Bordogni dans une ville de province de troisième ordre fut bientôt connu à Turin, où l’impresario du théâtre royal, ayant besoin d’un ténor, l’engagea pour la saison du carnaval. C’est à Turin que Bordogni a connu pour la première fois Mlle Colbran, célèbre cantatrice qui est devenue depuis Mme Rossini. Bordogni débuta dans un opéra de Zingarelli, Cerusalemme distrutta, où Mlle Colbran chantait le rôle de Mariamna. En 1813, Bordogni, qui était déjà avantageusement connu, fut engagé au théâtre Carcano de Milan, où il chanta le rôle d’Argirio de l’opéra de Tancredi, de Rossini, qui avait été donné récemment à Venise avec un succès prodigieux. Au carnaval de l’année suivante, Bordogni était engagé au théâtre Re de la même ville, où il parut dans un opéra de Pavesi, Fingallo e Comata, et puis il fut appelé au théâtre de la petite ville de Varese pendant la saison d’automne.

En 1815, Bordogni était à Parme, où il a créé un rôle dans un opéra inconnu, la Fedettà conjugale, d’un compositeur non moins obscur, Antonio Brunetti, maître de chapelle de la cathédrale de Pise. Generali était depuis plusieurs années directeur de la musique (maestro al cembalo) du théâtre italien de Barcelone. Il avait connu Bordogni à Novare, et il avait pu apprécier la flexibilité de sa voix charmante et le goût du jeune virtuose. Il le fit engager, et Bordogni se rendit à Barcelone en 1817. Il débuta dans un opéra bouffe de Generali, la Contessa di Colle erboso, plus il parut successivement dans la Donna soldato, d’Orlandi, et dans la Cecchina, de Generali, opéra dont le sujet a été depuis traité de nouveau par Donizetti dans Linda di Chamouni. Après avoir encore paru dans un opéra de Pavesi, Corradino, dont la donnée se retrouve dans Matilda. di Shabran, Bordogni eut l’insigne bonne fortune d’être appelé à Naples en 1818, où il chanta devant Rossini le rôle d’Argirio de son premier et délicieux chef-d’œuvre, Tancredi, qui