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émanées du pouvoir central, où à ces parlemens, objet constant de ses haines et de ses méfiances, seraient substitués des tribunaux établis dans des circonscriptions géographiquement égales ; si on avait ajouté qu’au sommet d’une hiérarchie fondée sur un double degré de juridiction serait assise une cour suprême chargée d’imprimer à toute la jurisprudence du royaume le sceau d’une merveilleuse unité, il n’est pas permis de douter que Louis XIV n’eût acclamé de grand cœur un pareil avenir, et qu’il ne l’eût considéré comme le fruit de ses efforts et le dernier mot de sa pensée.

Je vais plus loin, et je demande si ce prince et tous ses ministres, Colbert en tête, auraient éprouvé une admiration moins vive pour cette division territoriale de la France qui a eu l’effet simultané d’anéantir l’esprit provincial, non moins odieux à Louis XIV que l’esprit parlementaire, et de doubler le nombre de ces intendans que la constitution de l’an VIII a décorés du nom romain de préfets. À ce propos, il me revient en mémoire certains passages d’un livre que Mirabeau et ses collègues de la constituante ont pillé plus d’une fois sans y rien perdre de leur réputation d’originalité. Un homme né sous Louis XIV, quoiqu’il ait écrit sous le règne suivant, s’inquiétant plus qu’il n’était ordinaire en son temps et dans sa condition d’une révolution qu’il tenait pour imminente, s’efforçait de la prévenir en proposant de l’opérer par l’initiative royale, c’est-à-dire par le développement extrême des doctrines que la royauté française avait si longtemps représentées contre le régime féodal. Dans cette utopie démocratico-monarchique, émanée d’un ministre des affaires étrangères, des justices populaires électives remplacent les justices seigneuriales ; les parlemens et les états provinciaux sont supprimés ; les provinces elles-mêmes disparaissent sans miséricorde, et l’on voit se déployer cet échiquier départemental auquel ne manque aucune des dénominations que nous tenons aujourd’hui pour nouvelles. Pour ne faire qu’une seule citation, voici l’un des nombreux articles du projet de constitution élaboré par le marquis d’Argenson plus de cinquante ans avant la révolution : « Le royaume sera divisé en départemens moins étendus que ne le sont aujourd’hui les généralités, et l’on suivra pour cette division les mœurs et les rapports de situation et de commerce. À la tête de chaque département, il y aura un intendant qui sera le premier officier royal… Sa majesté, se proposant de donner au gouvernement de son royaume toutes les perfections dont il est susceptible, jugera s’il n’est pas à propos de diviser les départemens en plus petites parties, non-seulement afin de mettre en sûreté l’autorité royale, mais principalement pour multiplier les soins et les attentions, reconnaissant qu’un moindre territoire est toujours plus soigné qu’un grand… Les intendans