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toutes les causes ont des défenseurs éminens et provoquent un mouvement d’études sérieuses et de solide réflexion.

Je sortirais de mon sujet si j’essayais d’exposer ici par quelles associations d’idées l’école néo-catholique réussit à faire tenir un moment dans son sein les élémens les plus divers, et par quelle fatalité logique elle aboutit aux excès les plus opposés. C’est l’homme que j’étudie dans Lamennais : or les destinées de l’école qu’il a fondée se sont accomplies en dehors de lui et contre lui. Il m’en coûterait d’ailleurs de démêler une équivoque qui, encore aujourd’hui, conserve quelques partisans de plus à la liberté. Tel est l’absolu des doctrines du catholicisme que le mot de liberté ne peut avoir pour les catholiques le même sens que pour nous. Pour le catholique, la liberté ne saurait être, comme pour le vrai libéral, le droit qu’a tout homme de croire et de faire ce que bon lui semble dans les limites ou le droit semblable des autres n’est point atteint ; la liberté du catholique est toujours plus ou moins la liberté du bien, le droit de la vérité, c’est-à-dire évidemment de ce que le catholique regarde comme le bien et la vérité. Beaucoup de catholiques, je le sais, entendent la liberté d’une façon plus loyale et seraient prêts à donner aux autres la liberté qu’ils réclament pour eux-mêmes ; mais qu’ils me permettent de leur dire qu’en cela ils me semblent peu d’accord avec les principes essentiels de leur foi[1]. Du moment qu’on admet qu’une certaine doctrine est la vérité absolue, hors de laquelle il n’y a point de salut, il est impossible de ne pas lui créer un privilège ; le droit de la vérité prime tous les autres, et le plus grand service qu’on puisse rendre à ses semblables est de leur procurer, à quelque prix que ce soit, le seul bien nécessaire. L’autorité décisive en une pareille question est du reste celle de l’église elle-même. Écoutons l’encyclique par laquelle le pape Grégoire XVI condamna les opinions de Lamennais. « De cette source infecte de l’indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu’il faut assurer et garantir à tous la liberté de conscience. On prépare la voie à cette pernicieuse erreur par la liberté d’opinions pleine et sans bornes qui se répand au loin pour le malheur de la société religieuse et civile, quelques-uns répétant avec une extrême impudence qu’il en résulte quelque

  1. . Il serait long d’apporter ici les preuves détaillées de cette affirmation. Je me contenterai de renvoyer à une très curieuse dissertation du chanoine Muzzarelli, théologien fort autorisé à Rome, où ce savant homme a prouvé par une masse énorme de textes qu’un catholique ne peut professer sur des points essentiels les doctrines du libéralisme moderne sans se mettre en contradiction avec l’enseignement et la pratique de l’église à tous les siècles. Cette dissertation a été traduite et insérée dans le tome V de l’Histoire de l’Église de M. le baron Henrion.