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force de sa pensée et l’intensité de ses mérites un nouvel Indra et de nouveaux deux. Le curieux ouvrage intitulé Affaires de Rome nous fait assister à un spectacle du même genre. C’est certainement une des choses les plus honorables pour Lamennais que le calme, la réserve de bon goût et la sincérité qui respirent dans tout ce livre. Jamais on n’a réglé ses comptes avec le passé d’une façon plus digne et plus discrète. Qu’un homme, jeté dans un dédale de petites intrigues, ait pu recueillir d’aussi fraîches impressions sur l’Italie et sur Rome en particulier ; qu’au milieu de cette nullité calculée et de cette sécheresse de cœur qui caractérisent le monde romain, il ait pu naître à une vie nouvelle avec des torrens de poésie ; qu’un livre consacré à faire l’histoire de fastidieuses disputes renferme de délicieuses pages, pleines du goût de la solitude et de la vie intérieure, il y a là un signe évident de noblesse et d’élection. Au moment où la petitesse et l’envie liguées ensemble ourdissaient contre lui de ténébreuses manœuvres, il a le temps d’observer finement, de sentir avec délicatesse ; il a un souvenir pour de simples et pieux cénobites, pour son voiturin Pasquale. Il est évident que l’Italie produisit sur lui cette recrudescence de poésie qu’elle amène souvent dans les âpres natures du Nord. Les mois de l’hiver de 1832 qu’il passa à la maison des théatins de Frascati furent peut-être les plus tendres et les plus pieux de sa vie. On ne comprendra jamais les songes de l’âge d’or qui traversèrent alors cette âme riche et pure : l’incomparable éruption de l’année suivante bouillonnait déjà dans son sein ; la lutte contre les difficultés du dehors ne faisait que l’élever et l’attendrir. Quelle page charmante que le récit de sa visite aux camaldules des environs d’Albano ! Est-ce bien d’un prêtre engagé dans une ardente polémique qu’est cet élan vers le repos ? « Nous concevons très bien le genre d’attrait qu’a pour certaines âmes, fatiguées du monde et désabusées de ses illusions, la vie solitaire. Qui n’a point aspiré à quelque chose de pareil ? qui n’a pas plus d’une fois tourné ses regards vers le désert et rêvé le repos en un recoin de la forêt, ou dans la grotte de la montagne, près de la source ignorée où se désaltèrent les oiseaux du ciel ? Cependant telle n’est pas la vraie destinée de l’homme : il est né pour l’action ; il a sa tâche qu’il doit accomplir. Qu’importe qu’elle soit rude ? n’est-ce pas à l’amour qu’elle est proposée ? Il est néanmoins des temps où le courage semble défaillir, où l’on se demande si, en voulant le bien, dont tant d’obstacles souvent imprévus empêchent la production facile en apparence, on ne poursuit point une chimère, où à chaque inspiration la poitrine soulève le poids d’un immense ennui. J’ai toujours éprouvé qu’en ces momens la vue de la nature, un plus étroit contact avec elle,