Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 10.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si l’étude de ces temps projette quelque lumière sur notre génie national, que de côtés restent dans l’ombre ! Que de problèmes demeurent posés sans être résolus ! Louis XIV vient de nous apparaître comme le précurseur d’une révolution dont il aurait approuvé la plupart des innovations administratives, et qui, dans ses résultats politiques, fut la conséquence presque nécessaire ; quoique fort imprévue, de son système de gouvernement. Nous venons de le voir déployant une persévérance sans exemple pour donner à la bourgeoisie l’esprit et l’habitude des affaires, en même temps qu’il frappait de stérilité l’intelligence politique de la noblesse. Cependant, par un contraste inexplicable pour l’esprit de contradiction le plus obstiné, il se trouve que les fils de ceux dont il remplissait ses conseils le tiennent pour le représentant d’un état social dont ils abhorrent jusqu’au souvenir, tandis qu’il est devenu le modèle des princes et le type accompli de la royauté pour les gentilshommes, dont il avait abaissé l’importance jusqu’à le servir à sa table et à l’assister à sa toilette. Les hommes dont il a préparé la fortune n’ont pas seulement outragé sa mémoire, ils l’ont poursuivi jusque dans sa race, et l’on a vu les victimes d’une politique que Saint-Simon appelait le comble de l’indignité aller, aux jours d’épreuves, avec une abnégation héroïque, consommer, dans l’exil, auprès des petits-fils du grand roi, une ruine dont ils ne semblaient même soupçonner ni les causes, ni les auteurs. De tels mystères rentrent dans le domaine du moraliste plus que dans celui du publiciste et de l’historien, car pour les expliquer il faudrait descendre jusqu’aux profondeurs les plus insondables de notre cœur.


LOUIS DE CARNE.