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année une grandeur, un aspect harmonieux que n’avaient pas ses deux premiers ouvrages, c’est précisément l’omission des détails qu’il avait jusqu’ici considérés comme importans. En simplifiant ce qu’il voyait, il a donné à son style plus de sévérité. Il a rompu dès à présent, rompu d’une manière éclatante avec les théories qu’il soutenait. S’il venait nous dire que toute beauté est contenue dans la réalité, nous aurions le droit de sourire, car son Lion de cette année donne un démenti à cette affirmation. Il y a dans cette figure plusieurs parties vraiment belles, et je les ai nommées en disant pourquoi elles sont belles. Il y a des parties d’un mérite moins élevé, et je n’ai pas négligé d’expliquer ma pensée à cet égard. En même temps que j’exprimais l’impression que j’avais reçue, je désignais l’origine de cette impression. M. Jacquemart ne compte plus aujourd’hui parmi les disciples de l’école réaliste. Il aurait beau vouloir retourner en arrière : il ne pourrait accomplir son dessein ; il s’est trop compromis avec la vérité pour soutenir la cause de l’erreur.

M. Guitton a trouvé dans le poème de Musée un sujet gracieux, qui malheureusement ne se prête pas à la sculpture : Léandre essayant de découvrir le signal promis par sa maîtresse. Les amours d’Héro et Léandre, comme celles de Daphnis et Chloé, nous charment par leur naïveté. Est-ce une raison pour que chacune de ces quatre figures prise à part nous inspire un bien vif intérêt ? Ce que je peux louer librement dans la statue de M. Guitton, c’est l’étude attentive du modèle vivant. On sent en la regardant que l’auteur aime son art et le cultive avec un zèle ardent. Le torse et les membres sont traités avec une élégance que je me plais à reconnaître. Quant à la tête de Léandre, je suis forcé d’en parler comme je parlais tout à l’heure de la tête d’Ariane. M. Guitton a imaginé, pour exprimer l’attention, quelque chose de pareil à ce que M. Millet avait imaginé pour exprimer la douleur. Ariane couvre ses yeux, sans doute pour cacher ses larmes. Léandre met la main au-dessus de ses yeux, sans doute pour mieux apercevoir la lampe allumée sur la tête de sa maîtresse. Je suis fâché de ne pouvoir accepter l’invention de M. Guitton, car il y a dans la figure beaucoup de grâce et de vérité ; mais la main placée au-dessus des yeux, mouvement très naturel quand il s’agit d’éviter ou d’amortir la lumière du soleil, ne signifie rien, ou plutôt devient un contre-sens, quand l’amant, qui guette le signal de sa maîtresse, ne cherche à éviter que la splendeur des étoiles. C’est là, si je ne m’abuse, une objection très grave, et je m’étonne que M. Guitton ne l’ait pas prévue. Et pourtant ce n’est pas la seule que j’aie à présenter. Les récits de Longus et de Musée, qui ont enchanté notre jeunesse, ne sont pas assez connus de la foule pour qu’un personnage isolé soit compris sans