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jour du péril, s’écrie-t-il, où trouvera-t-on des hommes plus intrépides, plus attachés à leur devoir, plus soumis à la discipline ? Voyez-les, ces braves gens, pas un ne mendie : tel capitaine s’est fait boulanger, tel lieutenant cordonnier, tel autre brasseur, ce simple soldat portefaix, etc. Et chacun, sous les insignes de sa nouvelle profession, s’y conduit comme si de sa vie il n’eût porté la cuirasse et le hoqueton. Maintenant regardez les officiers et les soldats de l’armée qu’on réorganise : ils traînent partout leurs grands sabres, jurant, blasphémant, volant à qui mieux mieux. Certes le roi est plus en péril au milieu de ses cavaliers débauchés et mécontens qu’il ne le serait au milieu des anciennes milices formées par Cromwell. »

Cromwell ! — A chaque instant, ce nom revient comme un reproche pour le gouvernement royal, qui laisse tout aller à la dérive, la désorganisation s’introduire dans tous les services, l’esprit de concussion et de dilapidation faire des prosélytes chaque jour plus nombreux. Pepys, qui de ce côté, s’il est sans peur, n’est pas tout à fait sans reproche, n’en regrette pas moins, on doit lui en savoir quelque gré, l’austère régularité du protectorat. « Il est étrange, dit-il, d’entendre un chacun se raviser sur le compte d’Olivier et le louer hautement, vanter sa décision, rappeler la crainte qu’il inspirait au dehors, tandis que voici un prince, entouré à son arrivée par l’amour, les prières, le dévouement de la nation, à qui on a donné, plus qu’à tout autre monarque, les preuves de l’affection la plus féconde en sacrifices de tout ordre, — et en si peu d’années il a perdu tout cela. »

Une conversation intéressante, rapportée par Pepys, est celle qu’il eut avec l’ancien chapelain de Cromwell. Un pur hasard les a mis en présence. Ils causent de Richard Cromwell, qui est pour le moment en France, et va passer en Italie, sous un autre nom que le sien, mais sans vouloir se déguiser autrement ni se dérober à qui le chercherait. On revient sur le passé. Le chapelain raconte à Pepys que, sous le vieil homme, il a été traité au nom du roi (Charles II) d’un mariage entre lui et la fille du lord-protecteur[1]. Cromwell refusa cette union, qui semblait assurer sa dynastie. Le motif principal du

  1. Charles II exilé offrait de tous côtés sa main besoigneuse. Chacun sait que le cardinal Mazarin lui refusa sa nièce (Hortense Mancini), — quitte, il est vrai, à la lui proposer après la restauration. La duchesse de Montpensier (Henriette-Marie d’Orléans) le refusa aussi, et par ambition, pensant qu’elle épouserait ou l’empereur d’Allemagne ou le roi de France. Il fit demander, sans succès, la main de Henriette, fille de la princesse douairière d’Orange, et en 1655, selon Clarendon, celle d’une « grande dame » que le prudent chancelier ne nomme pas. Il la désigne comme « la cousine germaine du prince de Condé. » Nous trouvons encore sur cette liste de mariages manqués une fille du duc de Lorraine. On voit que l’idée chevaleresque de venir en aide à un roi déchu ne souriait pas autrement aux belles princesses d’autrefois.