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ses caustiques ordinaires… — Allez, allez, madame, vous serez assez vengée, si c’est une rivale qu’il vous donne. Avant quelques jours, la péronnelle sera perdue, diffamée par lui, montrée au doigt dans la ville… Et personne, je vous en réponds, ne lui enviera son bonheur, à celle-là,… si ce n’est peut-être vous, ma chère maîtresse. — Je ne lui souhaite qu’un malheur, reprend la belle éplorée, c’est d’aimer l’infidèle autant que je l’aime.

Au beau milieu de ce désespoir, de ces regrets, de ces malédictions, un couplet joyeux annonce l’arrivée du « monstre. » Vainement on l’a consigné ; il ne s’arrête pas aux bagatelles de la porte, et par manière de passe-partout, il a le madrigal :

Pour aller au ciel, d’ordinaire
Il faut mourir ;
Mais ce paradis moins sévère,
Aux pas des vivans on le voit s’ouvrir.

Ainsi chantonne-t-il avec assurance, et, si elle le laissait faire, il baiserait galamment la main de sa maîtresse outragée ; mais elle le repousse avec violence, et Belinda, comme elle l’a désiré, voit se briser les nœuds fragiles qui existaient entre la femme qu’elle appelait son amie et l’homme dont elle veut faire son amant. Celui-ci, par surcroît d’hypocrisie, l’accuse, elle, de l’indiscrétion qu’ils ont préméditée ensemble. Il la menace de s’en venger. — « Oui, lui dit-il, — et on comprend de reste ce qu’il veut dire, — oui, j’aurai de ceci une réparation éclatante. Je vous poursuivrai, je vous relancerai comme jamais fat impertinent ne persécuta une maîtresse adorée. Je vous donnerai chasse sous les arbres du parc. Au mail, je serai sans cesse sur vos pistes. Vous m’aurez à vos trousses dans toutes vos visites. Au théâtre, dans les salons, partout je vous hanterai, apparition vengeresse ! Toujours penché sur votre épaule, il faudra, bon gré mal gré, que vous écoutiez mes reproches, déguisés en complimens, et je vous assassinerai de mourantes œillades à désespérer toutes vos amies, à vous chasser de Londres, à vous perdre de réputation… »

Certes cette tirade à double entente est tout à fait dans le goût de l’époque. On y retrouve cette veine de fourberies, de mystifications, de noirceurs, — comme on disait plus tard, sous la régence, — qui caractérise les liaisons dites d’amour, quand l’amour lui-même n’existe plus qu’à l’état de ridicule impardonnable. Mistress Loveit ne comprend qu’à demi, elle n’entend pas la promesse d’un rendez-vous qui s’échange tout bas à deux pas d’elle ; mais elle pressent quelque tromperie, elle s’alarme, et ses craintes, qu’elle n’hésite pas à laisser percer, sont accueillies avec un dédain railleur. Vainement, poussée à bout, veut-elle faire montre de quelque dignité. Lorsque l’amant qu’elle chasse de sa présence prend docilement