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M. T… était-il arrivé à posséder son image de la main d’un homme effrayé de courber sa pensée sous la volonté d’un être étranger aux arts ? Ce fut là ce qui me donna la certitude de la force de l’idée fixe et de l’adresse qu’elle communique à ceux qui en sont possédés. Sans doute le jeune T… ne retrouvait pas sa propre ressemblance égarée au milieu de ces souvenirs de Byron, de Goethe, de Shakspeare ; mais ce n’en était pas moins un honneur que de posséder un essai de portrait du grand artiste, qui, abandonnant sa propre fantaisie, avait bien voulu descendre jusqu’à essayer de rendre l’image d’un homme ordinaire.

Je n’étais pas au bout des bizarreries peintes de la collection. Dans cette troisième salle, on voyait accrochés dix portraits qui avaient dû coûter une centaine de mille francs, car M. T… s’était adressé, pour orner sa tribune, à des maîtres de la plus grande réputation, même à des paysagistes. Ainsi l’homme qui a pour habitude d’envelopper de brumes la nature du matin et du soir, le peintre qui ne cherche que les effets de rosée, les légères vapeurs chassées par le soleil levant et les demi-jours provoqués par la fuite du soleil à l’horizon, le même dont les feuillages sont à demi estompés dans une atmosphère grise, avait abandonné un moment sa chère nature pour peindre M. T… ; mais aussi quel singulier portrait ! Des traits flottans, une physionomie analogue aux formes que dessine tout à coup un nuage qui passe, tel était M. T… interprété par le paysagiste.

Un troisième artiste avait fait de la figure du jeune homme une sorte de muraille pleine d’accidens, de petits ravins, d’excroissances, de roches, dévalions et de collines. C’étaient comme des râclemens avec les ongles, des grattures, de vieux tons rouilles, des épaisseurs de couleurs semblables à de petits tertres ; les bitumes y dominaient, et l’aspect général faisait songer au fond d’une vieille casserole. La physionomie avait quelque chose de turc ou d’albanais, et M. T… ne pouvait se plaindre du peu de travail de l’artiste, car la peine avait passé par là.

À gauche, dans un cadre splendide, se trouvait un portrait blanc et rose, joli comme une poupée de cire. C’est ainsi que se font peindre habituellement les souverains. Si la physionomie était insignifiante, la cravate blanche, la fleur à la boutonnière et le satin reluisant du drap étaient traités avec un soin sans égal. Tout était également léché et vernis dans ce portrait, et si M. T… n’eût jamais commandé que celui-là, certainement ses compatriotes n’auraient pu manquer de l’envoyer à la chambre en qualité de représentant du département.

Il y avait encore quelques portraits, mornes, gris, sans vie, d’un profil régulier, avec des contours exacts et des ameublemens dessinés