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de l’académie d’Edimbourg, qu’il avait fondée, ne voulaient voir en lui qu’un partisan décidé des congés, un ami des rires et des jeux, un adversaire de la tyrannie scolastique. Et de fait le jurisconsulte éminent, même le grave magistrat, ne pouvait rencontrer sur son chemin une glissade sans la parcourir au galop, à la barbe du policeman interdit, et il encourageait les batailles à boules de neige autant que le peut faire décemment un citoyen paisible. Il faisait bon surtout le voir entouré de ses petits enfans, patinant ou jouant aux boules comme le plus insouciant d’entre eux, et donnant à cette ardente jeunesse, aussitôt les heures du travail finies, le signal des cris, des gambades et d’une liberté tapageuse.

C’est cette bonne et aimable nature qui rendait lord Cockburn cher à toute l’Écosse. Les petites excentricités qu’on pouvait signaler en lui n’étaient qu’un charme de plus aux yeux de ses compatriotes, et n’enlevaient rien au respect que lui assuraient ses belles qualités et ses talens. Il était, au milieu des générations actuelles, le dernier représentant d’un âge écoulé, et il semblait qu’avec lui et deux ou trois de ses amis dût disparaître tout vestige de la vieille Écosse. Ami sincère du progrès, Cockburn n’avait aucun chagrin de vieillir ; les changemens rapides et de toute sorte qui s’opéraient autour de lui ne lui inspiraient point de regrets. Cependant les souvenirs du bon vieux temps n’étaient pas sans charmes pour lui ; il aurait voulu que la plume et le pinceau immortalisassent ce qu’il y avait de caractéristique et surtout de national dans les mœurs, les habitudes, les coutumes d’autrefois. L’originalité de la vieille Écosse s’effaçait tous les jours : il n’en pouvait être autrement, il était même bon qu’il en fût ainsi, puisque les Écossais s’élevaient, par les lumières et le bien-être, au niveau de leurs voisins du sud ; mais ne resterait-il rien, ni un homme, ni un livre, pour dire aux fils ce qu’avaient été leurs pères ? Tout en souhaitant qu’un autre prît la plume et se chargeât de raconter les changemens apportés par le temps dans les mœurs nationales, lord Cockburn se mit, vers le milieu de sa vie, à recueillir ses souvenirs de jeunesse, et à rassembler des notes sur les hommes et les choses de son temps. Ces notes, écrites à la volée il y a trente ans, et dont la meilleure partie lui avait servi pour la biographie de Jeffrey, ont été trouvées dans ses papiers et livrées à la publicité ; Elles forment un ouvrage sans ordre, sans méthode et sang prétention, et qui pourtant a eu plusieurs éditions en quelques mois. C’est que lord Cockburn s’y retrouve tout entier : d’un bout à l’autre de ces pages simples et ingénues, on voit l’homme qui a été heureux toute sa vie, à qui le passé ne rappelle que des souvenirs agréables, qui pare toute chose d’un reflet de son inaltérable gaieté, et décore chacun des qualités qui sont dans