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à la dévotion de quelque grand seigneur, ou trop heureux d’obtenir au prix de leur vote les faveurs du gouvernement. Plusieurs centaines d’électeurs ne remplissaient pas les conditions légales et n’étaient admis à voter que par une coupable connivence. Les députés des bourgs étaient nommés par les conseils municipaux. Edimbourg était l’unique ville qui eût un représentant à elle seule : partout ailleurs on réunissait quatre ou cinq villes pour former un collège. Les conseils municipaux de ces villes nommaient chacun un délégué, et les quatre ou cinq délégués désignaient le député. Il suffisait donc au gouvernement de gagner deux ou trois personnes pour emporter une élection. Il n’était point à craindre d’ailleurs que l’opposition pénétrât dans les conseils municipaux : ces conseils se recrutaient eux-mêmes, en appelant dans leur sein des membres nouveaux à mesure que des vacances se produisaient. Le même esprit s’y perpétuait donc forcément. C’était en réalité le gouvernement qui composait les conseils municipaux et qui nommait tous les députés. Aussi, lorsqu’en 1812 un brave soldat, un grand propriétaire, sir John Dalrymple, osa se mettre sur les rangs dans un comté en avouant ouvertement sa prédilection pour les whigs, ce fut tout un événement. Sir John ne fut pas élu, mais sa candidature seule fit scandale.

Il ne fallait pas songer à s’adresser à l’opinion par la presse ; les douze ou quinze feuilles qui se publiaient alors étaient toutes sous l’influence du parti tory : le premier journal qui se hasarda à professer des opinions libérales fut fondé à Edimbourg en 1817. Personne n’eût songé à provoquer une réunion publique après avoir vu Henry Erskine destitué par ses confrères, en 1796, du poste de doyen de l’ordre des avocats, pour avoir accepté la présidence d’un meeting. Vingt ou trente ans s’écoulèrent avant qu’on entendît parler d’aucune réunion populaire. Le gouvernement, en l’absence de toute publicité, ne reculait pas devant les persécutions pour étouffer tout esprit d’opposition par la force et la terreur, et il était secondé par les passions plus encore que par la servilité des magistrats. Si l’on excepte les quelques mois que dura le ministère formé par Fox en 1806, les tories gardèrent le pouvoir pendant près de quarante années consécutives. Les cours de justice n’étaient donc remplies que de magistrats dévoués à leurs principes, et le plus souvent d’hommes qui avaient mérité leur position par les excès d’un zèle intempérant. Ces juges, enflammés par l’esprit de parti, ne craignaient pas au besoin de faire fléchir la loi ou de lui donner l’interprétation la plus inattendue. Non-seulement ils présidaient les assises, mais ils désignaient eux-mêmes les jurés, sans admettre le droit de récusation, et ils dictaient au jury, sous prétexte de définir le point de droit, le