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De long désespoir, de deuil, que sur terre
On ne puisse à deux changer en bonheur.

« Aimons-nous, laissons les choses du monde
Poursuivre leur cours au gré du hasard,
Et cherchons bien vite un coin quelque part
Où nous goûterons une paix profonde,
Au fond des grands bois, à l’ombre, à l’écart.

« Aimons-nous, l’amour est la liqueur douce
Qu’à la vie amère un Dieu bon mêla ;
Fuir, libres et seuls, où le vent vous pousse,
Rêver oublieux dans l’herbe et la mousse,
Oh ! croyez-le bien, le bonheur est là ;

« Aimons sans retard, car l’heure nous presse ;
Qui sait ? En nos cœurs, la fraîche jeunesse
Peut faire défaut un de ces matins ;
La mort peut venir prendre, avant l’ivresse,
Presque entière encor, la coupe en nos mains. »

Sous les châtaigniers, l’âme toute pleine
De désirs confus et de vains projets,
Marchant à pas lents, ainsi je songeais,
Et vous, ô ma frêle et pâle verveine,
Vous leviez au ciel vos regards distraits.

Comme une humble larme, une étoile claire
Brilla tout à coup, seule, à l’horizon ;
Le grillon chanta sous le vieux buisson ;
L’onde au loin gémit, et dans la clairière
Le rossignol dit sa plainte au doux son.

Pourtant vous restiez calme, indifférente ;
Tout semblait parler, et vous vous taisiez ;
Un soupir ouvrit ma lèvre tremblante,
Dieu seul peut savoir si vous l’entendiez !…
Le vent l’emporta sous les châtaigniers.


IV – LA METAIRIE DU MOULIN


Midi brûlait le sol de ses rayons dorés,
Et les bœufs accroupis sommeillaient dans les prés.
Tout reposait : l’oiseau, les blés mûrs, la feuillée ;
Seule, chantait sans fin la cigale éveillée.
Nous vînmes nous asseoir sur l’herbe ; « la chaleur
Avait rougi sa joue et son grand front rêveur.