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Un frisson me prit. — Pauvre ami, dit-elle,
Nous ne viendrons plus sur ce doux chemin ;
Je m’en vais bien loin… N’oubliez pas celle
Qui vous aime, hélas ! et qui part demain.


VI – LA GRAND’ROUTE


La matinée était humide et pluvieuse,
Des gouttes d’eau brillaient dans l’herbe du chemin ;
Tout dormait, les oiseaux dans les buissons d’yeuse,
Et les fleurs inclinant leur corolle soyeuse :
L’orage seul veillait à l’horizon lointain.

Un arc-en-ciel, joignant deux pentes opposées,
Arrondissait son arche aux mobiles couleurs ;
On eût dit que le ciel aux teintes irisées,
Les fleurs des bois, les prés lavés par les rosées,
Connaissaient mon amour et pleuraient mes douleurs.

À travers les sentiers ombragés de ramée,
J’atteignis cette route aux rapides sommets,
Où, deux heures plus tard, ma pâle bien-aimée,
Triste et les yeux en pleurs, dans sa chaise enfermée,
Devait à mes regards disparaître à jamais.

Sur le bord du chemin, un agreste village
S’éveillait bruyamment aux lueurs du matin ;
Les coqs s’égosillaient sous les toits de feuillage,
Et les bœufs mugissans allaient au pâturage,
Guidés par la chanson d’un pâtre poitevin.

Je me sentis brisé par ces rumeurs soudaines,
Ce gai réveil des champs me navrait ; je partis,
Je courus m’enfoncer sous les voûtes des traînes,
Derrière les abris d’un jeune bois de chênes,
Et là, tremblant, couché dans l’herbe, j’attendis…

Sous le clocher bruni de l’église voisine,
Dont je voyais la croix briller sur la hauteur,
L’Angélus soupira sa prière argentine ;
J’entendis tout à coup rouler une berline,
Galoper des chevaux… C’était elle, ô mon cœur !…

C’était elle, le front penché vers la portière
Et me cherchant des yeux… Quand elle m’aperçut,
Une larme d’argent trembla sous sa paupière ;
Un sourire effleura sa lèvre pâle et fière,
Elle agita sa main, et puis tout disparut.