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Écoutant les chansons des grillons et des pâtres,
Arrachant une fleur aux arbres du buisson,
Et nous montrant de loin les vers luisans bleuâtres
Semés dans le gazon ;

Quand les merles sifflaient parmi les jeunes feuilles,
Quand le vent, tiède encor, sur son aile amenait
Jusqu’à nous les parfums des lointains chèvrefeuilles,
Quand le ciel rayonnait ;

Qui l’eût dit, ô mon Dieu, qui l’eût dit, ô nature,
Que vos gazons épais, vos agrestes senteurs,
Que vos flots de rayons, vos masses de verdure,
Vos oiseaux et vos fleurs,

Que tous ces chers témoins de notre amour passée
Ne verraient plus venir sur ce chemin en deuil
Qu’une dépouille froide, une cendre glacée
Sous le bois d’un cercueil ?

Quand tu chantais le soir, qui l’eût dit, pauvre Aimée,
Que, deux printemps après, dès les premiers beaux jours,
Ta voix serait éteinte, et ta lèvre fermée,
Muette pour toujours ?

Toujours !… Ne plaignez pas celui qui sur la terre
Voit rouler dans l’oubli son amour abîmé ;
Ne plaignez pas celui dont le cœur solitaire
Aime sans être aimé ;

Non, car ils sont heureux, car la verte espérance
Les berce de son aile et les soutient encor,
Car ils dorment contens de leur chère souffrance,
Et font des rêves d’or ;

Ils peuvent chaque jour, chaque soir, à chaque heure
Revoir la femme aimée, et peut-être parfois
Franchir en frissonnant le seuil de sa demeure
Pour entendre sa voix ;

Ce n’est pas un fantôme, elle vit, elle est belle,
Sa lèvre est purpurine et son sang est vermeil,
Son sein frémit, son cœur bat, son œil étincelle
Comme un riant soleil…

Mais la main qu’on pressait entre des mains brûlantes,
Mais ce front tiède et pur qu’on couvrait de baisers,
Cette bouche d’enfant, ces grands yeux, fleurs vivantes,
Ces chairs aux tons rosés,